Je suis arrivée en retard, convaincue que j'allais rater la répétition. Mais la répétition pour le grand spectacle de la Fête nationale au parc Maisonneuve venait de commencer. Juste comme je poussais la porte du studio, j'ai pris en pleine gueule le refrain de La maudite machine.

Vous connaissez cette chanson? Paroles et musique de Pierre Flynn qui l'a composée en 1971 du temps qu'il était le leader du groupe Octobre. Au moment où j'ai poussé la porte du studio, les chanteurs et chanteuses réunis pour ce spectacle mis en scène par Pierre Boileau entonnaient «tous d'une même voix» le refrain lancinant de La maudite machine.

«J'ai le goût de m'en aller ailleurs. J'ai envie de sacrer le camp. Plus ça va, plus ça devient mort. C'était plus beau avant!»

L'espace d'un instant, je me suis sentie catapultée en 1971, quand j'étudiais les lettres et le cinéma au cégep Saint-Laurent avec Flynn qui était mon chum. Cette chanson-là, c'était la chanson-thème de nos idéaux de jeunesse, de notre révolte romantique contre le patronat qui broyait le monde ouvrier, contre la misère des chômeurs hagards et des robineux endormis dans les fonds de ruelles.

À l'époque, on disait robineux, pas sans-abri ou itinérant. À l'époque, des robineux, il y en avait pas mal moins que maintenant.

Le 24 juin au soir, La maudite machine sera l'entrée en matière du spectacle Tous d'une même voix. Avant même que l'animateur Louis-José Houde n'ouvre la bouche pour saluer la foule, La maudite machine aura parti le bal et donné le ton, avec son «all-star band» réunissant avant tout des auteurs: Flynn, Rivard, Daniel Boucher, Misteur Valaire, Mara Tremblay, Coeur de pirate, France D'Amour, Boogat, Lisa LeBlanc et Damien Robitaille.

En route pour la répétition, je me disais que la Fête nationale s'inscrivait cette année dans une étrange séquence d'évènements. Avec la défaite brutale du PQ, la souveraineté en plein creux barométrique, le Bloc québécois réduit quasiment à néant et mené par un nouveau chef un brin inquiétant, les ardeurs nationalistes qui animent habituellement la fête sont cette année en pleine déroute.

La Fête nationale cette année aura lieu dans un Québec post-Charte, plombé par des problèmes financiers, des bouchons, des travaux qui n'en finissent plus, un pont qui menace de s'écrouler et une commission Charbonneau dont certains commencent à douter de l'utilité et de la pertinence. Fêter? Quoi au juste?

«J'ai le goût de m'en aller ailleurs. J'ai envie de sacrer le camp. Plus ça va, plus ça devient mort. C'était plus beau avant!» S'il n'en tenait qu'à Flynn, il réécrirait toutes les paroles de La maudite machine et tout particulièrement le refrain. C'est ce qu'il m'a dit. Je lui ai répondu que 43 ans plus tard, ce refrain était tout à fait synchrone avec notre époque.

Ce qui est le plus frappant avec la dernière ligne du refrain - «c'était plus beau avant» -, c'est que déjà, en 1971, on vivait avec le sentiment d'un paradis perdu, d'un monde plus juste et équitable qui avait disparu au profit... du profit justement.

Ce qui est encore plus frappant, c'est que la maudite machine de la chanson, cette machine du travail broyant et abrutissant, n'existe plus comme telle. Du moins pas dans nos riches contrées. Mais c'est une autre machine qui l'a remplacée. Plus grosse. Plus structurée. Une machine industrielle. Une machine mondialisée et déferlante qui agit comme un rouleau compresseur sur les langues, les cultures et les identités.

Une fois qu'on a compris ça, on se dit que c'est une maudite bonne idée de commencer un spectacle du 24 juin avec La maudite machine et d'enchaîner avec un bouquet de chansons du répertoire québécois écrites par les auteurs et interprètes qui seront devant nous sur scène.

Pour une rare fois au parc Maisonneuve, les chansons qui résonneront ne seront pas des reprises, des standards ou des tubes de l'année. Ce seront des chansons chantées par ceux qui les ont écrites, des chansons triées sur le volet pour ce qu'elles disent de nous et de nos semblables. Avec un peu de chance, il fera beau. Et avec un peu de chance et de bonne volonté, à la fin de la soirée, personne n'aura envie de sacrer le camp ni de dire que c'était plus beau avant.

ON EN A BEAUCOUP PARLÉ

De la performance presque trop convaincante de Nathalie Normandeau à la commission Charbonneau. De deux choses l'une: ou bien Mme Normandeau a dit la vérité et la Commission qui n'a cessé de la traîner dans la boue lui doit ses plus plates excuses. Ou bien la commission harbonneau ne sert plus à rien sinon à permettre à des gens douteux de laver leur réputation et de redorer leur image en nous mentant effrontément.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Des ravages de la torture sur les individus. Amnistie internationale vient de lancer une campagne à ce sujet. Sur sa première affiche, on voit le chanteur Iggy Pop, un oeil au beurre noir, le visage en sang et tuméfié, affirmer que Justin Bieber est l'avenir du rock'n'roll. Sous son visage ravagé, on peut lire: «Torturez un homme et il vous racontera n'importe quoi. En plus d'être inhumaine, la torture est inefficace. Arrêtons ça.» Bravo pour le message et bravo pour cette ingénieuse campagne de pub qui ne manque pas de culot ni d'humour!