C'est le grand paradoxe de la présente campagne électorale. On parle de santé, d'économie, de laïcité, de corruption, de paradis fiscaux, mais jamais, jamais d'art ou de culture. Oui, je sais, le PQ a tenu un point de presse à ce sujet avec Pauline, Lorraine Pintal et compagnie. Cela ne change rien au fait que la culture n'est pas un enjeu électoral. La culture ne génère aucun débat. La culture ne compte pas. Elle est absente pour cause d'indifférence généralisée. Pourtant, dès que la soupe devient chaude, dès que la course devient trop serrée, dès qu'il faut corriger le tir, que font les partis politiques? Ils sortent un acteur, un chanteur, un auteur de télé ou de chansons de leur chapeau.

C'est arrivé dimanche avec Janette, qui, au cours d'un brunch péquiste, a écrit en direct une fiction: celle de deux hommes dont on ne sait trop à quoi ils ressemblent - des barbus? Tout ce qu'on sait, c'est qu'en surprenant Janette dans la piscine de son édifice avec une amie, tous deux ont rebroussé chemin, l'air déçu.

Janette a assez écrit de scénarios pour savoir qu'a priori, une telle scène ne veut rien dire tant qu'on ne connaît pas l'intention des personnages.

Or Janette ne savait rien de l'intention de deux intrus. Elle a tenu pour acquis que les types étaient des misogynes musulmans qui ne voulaient pas partager la même eau bourrée de chlore qu'elle.

Mais qui sait, peut-être que les deux types étaient tellement bien élevés qu'ils n'ont pas voulu déranger ces dames. Ou peut-être qu'ils avaient oublié leur casque de bain ou leur pince-nez. Peut-être qu'il s'agissait de deux amants clandestins qui pensaient avoir la piscine à eux tout seuls sans être dérangés. Ou peut-être qu'ils ont tous les deux été pris d'une envie subite de pisser.

Bref, échafauder une telle histoire sans plus d'informations ne rime à rien. Pas plus que de lui imaginer une suite, encore plus farfelue, où les deux types exigent du propriétaire des heures de piscine qui leur sont réservées avant d'en interdire carrément l'accès à ceux qui ne sont pas musulmans.

Je connais l'édifice où habite Janette. ll est la propriété québécoise de la succession René Lépine, et je vois mal comment un propriétaire avisé comme Lépine ou sa succession pourrait confisquer la piscine à des locataires qui paient leur loyer très cher pour accommoder une poignée d'intégristes.

Dan Bigras

Mais le Parti québécois n'est pas le seul parti à miser sur la popularité d'un artiste qui finit par le mettre dans l'embarras. C'est arrivé pas plus tard que lundi à Québec solidaire.

En passant, de plus en plus de gens du milieu de la culture, autrefois abonnés au PQ, défroquent pour rallier QS. Dernièrement, par exemple, Céline Bonnier, Joe Bocan et Geneviève Rochette ont pris fait et cause pour le parti de Françoise et d'Amir. Mais le coup de grâce est venu de Dan Bigras, qui, pour l'amour d'un Québec solidaire, a réitéré lundi son appui à Manon Massé dans Sainte-Marie-Saint-Jacques.

Au FM 93 de Québec, quelques heures plus tard, Françoise David se félicitait de compter un grand artiste comme Bigras dans ses rangs. Puis est arrivée la question qui tue: «Saviez-vous que Dan Bigras est associé depuis plusieurs années aux pubs de la Dodge Ram, la camionnette la plus polluante et énergivore de sa famille?» Françoise David ne le savait pas.

«Allez-vous lui demander de renoncer à son contrat au nom des valeurs écologiques de votre parti?» Je n'ai jamais entendu Françoise David patiner autant ni faire une promesse aussi bidon: la promesse de discuter avec Dan de son contrat avec Dodge Ram. Dans quel but? Son excommunication?

PLQ et CAQ

Au Parti libéral, on s'occupe des vraies affaires, et comme la culture n'en fait pas partie, on n'a pas vraiment besoin de faire appel à des artistes quand les choses se corsent. De toute façon, les artistes qui appuient le Parti libéral sortent rarement du placard, alors aussi bien y rester.

À la CAQ, le chef a fait les choses autrement. Au lieu de miser sur le pouvoir d'attraction des artistes, il a plutôt tablé sur l'exaspération que ceux-ci suscitent parfois dans la population. Puis il a fait l'erreur d'attaquer le projet de salle de spectacle d'un héros de la culture: nul autre que Robert Lepage, Prix Glenn Gould 2014. À noter que le prix Glenn Gould, remis tous les trois ans, a été attribué par le passé à des artistes d'exception comme Leonard Cohen, André Previn, Yo-Yo Ma, Yehudi Menuhin et Pierre Boulez. Disons qu'en se donnant le go pour attaquer Lepage, le chef de la CAQ s'est donné la gale. Aux yeux des artistes du moins.

Et puis, des fois, les partis ne demandent rien aux artistes. Ce sont les artistes qui lèvent la main et se portent volontaires. C'est le cas de Vincent Vallières, qui a profité de la tribune de La Presse+ pour faire un peu de politique. «Mettons qu'à partir de maintenant, la récréation est finie, écrit-il dans un texte devenu viral. Mettons qu'on essaie de relever le niveau de jeu. Mettons qu'on slaque un tour sur les insultes, les menaces, les campagnes de peur.»

Le début du texte, qui critique l'ambiance générale de la campagne, les slogans vides, le manque de nuances, est plutôt réussi. Mais à mi-chemin, le texte devient lyrique, romantique et d'un idéalisme un brin potager. Il nous invite à faire un jardin et à recommencer à rêver tous ensemble. Ensemble? Vraiment? Je me demande ce que Janette en pense. Janette et tous les propriétaires de Dodge Ram...