En France, il y a Dieudonné. Aux États-Unis, il y a eu George Carlin, Eddie Murphy et feu Patrice O'Neal, un gros diabétique, ardent défenseur des blagues de viol. Et chez nous, il y a désormais Gab Roy, le provocateur du Far Web, honni du monde conventionnel et adulé par la microsociété de la marginalité.

Mais la marginalité semble bien loin, ces jours-ci. Depuis que Mariloup Wolfe a déposé une poursuite de 300 000$ contre lui, le 7 mars, pour atteinte à la vie privée, à l'image et à la dignité, Gab Roy est presque devenu une vedette. Il fait la manchette des journaux, est invité sur plusieurs tribunes où, à défaut de trouver de la sympathie, il gagne en visibilité.

Au coeur du litige qui l'a rendu célèbre, un billet rédigé et publié le 23 octobre sous le titre Shotgun sur Mariloup Wolfe, dans lequel, sous le couvert de la fiction, le blogueur déshabille publiquement l'actrice et l'engage dans une relation sexuelle fantasmée de nature sexiste, violente et porno. Le billet circule sur le web même si Gab Roy l'a retiré six heures après sa mise en ligne.

Or, presque au moment même où Mariloup déposait sa poursuite, apparaissait sur YouTube une vidéo de Gab Roy faisant la lecture, à un public hilare, d'une autre lettre: la lettre d'un pédophile.

La vidéo mise en ligne samedi a été réalisée en 2010, année où Gab Roy n'avait pas encore accès au grand public et pouvait toujours, de manière quasi confidentielle, pousser à fond dans l'outrance et l'horreur. Car cette lettre d'un pédophile écrite à une petite fille de 11 ans qui vient d'être sodomisée est d'une horreur sans nom. Elle est bien pire que celle adressée à Mariloup Wolfe.

Gab Roy en a convenu lui-même hier au bout du fil. Pourquoi l'écrire et la présenter sur scène, alors? «Même s'il n'y a rien de drôle à la pédophilie et à ses victimes, je l'ai fait pour créer le malaise et pour que le public finisse par se surprendre de sa propre cruauté», m'a-t-il répondu.

Avant d'aller plus loin, mettons les choses au clair: je n'aime pas l'humour noir, trash et grossier de Gab Roy. Pas plus que je n'aimais l'humour homophobe, vulgaire et dégradant d'Eddie Murphy dans les années 80 (humour pour lequel l'humoriste s'est depuis confondu en excuses). Pas plus que je n'aime les films d'horreur ou la littérature d'horreur, où l'on nous décrit en long et en large le meurtre, la torture, le viol et les sévices physiques les plus abjects qu'un être humain peut faire subir à un autre être humain.

Ces formes extrêmes de transgression, car c'est bien de transgression qu'il s'agit, me sont insupportables. Mais en aucun cas je n'ai envie de les réprimer, de les censurer et de vivre dans une société où un Gab Roy n'aurait pas le droit de monter sur la scène d'un club de Granby ou de Drummondville pour partager ses méchants malaises et ses obscénités.

Il n'y a pas que des espaces lumineux dans la liberté d'expression. Il y a des coins sombres qui sont malpropres, qui ne sentent pas bon, qui lèvent le coeur, mais qui, paradoxalement, permettent de vider les égouts et d'exorciser un certain nombre de démons.

Je n'aime pas Gab Roy, mais j'aime encore moins le lynchage public dont il fait en ce moment les frais et qui permet à un paquet de gens, pas tellement mieux que lui, de se donner bonne conscience. Je n'aime pas leur mépris ni leur façon de se grandir en l'écrasant comme un insecte.

Et je ne parle pas ici de Mariloup Wolfe, qui a bien raison de le poursuivre parce que c'est son nom à elle, et pas un nom fictif, qui apparaissait dans le fameux billet. Parce que Gab Roy l'a déshabillée sur la place publique et qu'il a effectivement violé son image. Pas son corps. Son image.

Pour le reste, Gab Roy n'est pas Luka Magnotta. Ce n'est pas un pédophile, un assassin ou un violeur.

Pis encore: Gab Roy est nécessairement un produit de la société dont il est issu. Il ne nous fait peut-être pas rire, mais il teste nos limites: nos limites sociales, humoristiques et maintenant juridiques. Il va probablement en payer le prix, si ce n'est déjà fait.

Il a perdu ses commanditaires, certains de ses spectacles ont été annulés et il s'est fait virer de l'équipe de Voir, il y a trois semaines. Mais au moins, un jour, il pourra dire à ses enfants qu'à sa manière, tordue et délétère, il a fait oeuvre utile.