Anne Gibeault a rencontré sa conjointe Nathalie il y a 12 ans. Ce n'était pas sur la place Rouge à Moscou, et Nathalie n'était pas son guide, comme dans la chanson de Bécaud. Toutes deux se sont rencontrées au stade du parc Jarry pendant les Internationaux de tennis. Elles sont tombées amoureuses, se sont mises en ménage et ont eu deux enfants, aujourd'hui âgés de 5 et 8 ans. L'été dernier, au stade Uniprix, pendant la finale Nadal-Raonic, elles se sont mariées devant une trentaine de leurs amis.

Anne et Nathalie se seraient rencontrées dans la Russie de Vladimir Poutine qu'elles n'auraient jamais pu vivre leur amour au grand jour comme elles le font ici depuis 12 ans. C'est sans doute ce qui a poussé Anne, productrice de jeux vidéo chez Ubisoft, à imaginer le projet Nathalie en Russie.

L'idée était assez simple: dénoncer les politiques homophobes de Vladimir Poutine avec un vidéoclip lancé sur le web et tourné avec des amis danseurs et comédiens. La version dance de Nathalie de Bécaud serait arrangée par l'ami Philippe Dugas et chantée par la collègue Sonia Carrière.

Anne venait à peine de formuler son projet que déjà tout le monde voulait y participer. Et quand j'écris tout le monde, je parle de ses amis gais comme de ses amis hétéros qui, pour l'occasion, étaient majoritaires.

Le tout s'est finalement concrétisé par un froid sibérien de début janvier. Gais et hétéros ont convergé bénévolement vers le studio loué par Anne et payé de sa poche, pour y danser une chorégraphie sur l'air de Nathalie, le visage caché sous un masque à l'effigie de Poutine.

Puis, une fois la chorégraphie maîtrisée, au signal du réalisateur Laurent Bernier, tous les couples se sont lancés dans un langoureux kiss-in enregistré pour la postérité.

Nathalie en Russie a été lancé sur le web la veille de la Saint-Valentin et, surtout, de la visite de Poutine à la Maison des athlètes canadiens.

Dommage que le clip n'ait pas fait l'objet d'un envoi collectif à Sotchi afin que tous les Canadiens qui ont accueilli Poutine comme s'il était la huitième merveille du monde, en l'applaudissant à tout rompre et en faisant fi de son triste bilan en matière de droits de l'homme, le voient.

Dommage que Marcel Aubut, le gars que l'on a vu susurrer à l'oreille de Poutine que ses Jeux étaient les plus meilleurs de l'histoire olympique, n'ait pas lui non plus reçu dans sa boîte courriel le lien vers Nathalie en Russie.

Ce clip lui aurait peut-être rappelé son excès d'enthousiasme et d'opportunisme à l'endroit d'un dirigeant qui de toute évidence sait mieux organiser des Jeux olympiques que la vie démocratique de son pays.

C'est quand même étonnant, le revirement dont profite Poutine. Sous prétexte que tout le monde s'attendait à une catastrophe et que la catastrophe n'a pas eu lieu, le président qui, en 2014, cautionne encore l'exclusion sociale des membres de la communauté LGBT est passé du jour au lendemain de zéro à héros. C'est à peine si les médias se souviennent ses «exploits» en matière de droits bafoués.

Hormis un topo rigolo d'Infoman sur le seul parc à 12 kilomètres de Sotchi où il est permis de manifester et un reportage de Jean-François Bélanger montrant l'unique manifestant qui s'y est risqué et qui a écopé de 30 heures de travaux communautaires pour 15 minutes de manif, les médias semblent aussi complaisants que Marcel Aubut.

Ce n'est pas Nathalie en Russie qui va y changer quoi que ce soit, encore que...

Anne Gibeault a eu la bonne idée de transformer son projet en collecte de fonds. Tous ceux qui veulent contribuer à la cause peuvent aller sur le site nathalieenrussie.com acheter la chanson Nathalie pour 99 cents ou, pour 20$, le t-shirt tout mignon mettant en vedette deux poupées russes sous le prénom Nathalie.

Tous les profits de ces ventes seront remis à Agora, une coalition d'avocats russes qui se consacrent à la défense des droits de l'homme.

J'ignore si le t-shirt Nathalie se vend en taille extra grande. Si c'est le cas, je l'achète illico et je l'envoie à Marcel Aubut d'ici la fin des Jeux.

Ellen à Vegas

Pendant que Nathalie était en Russie, Ellen Page, l'adorable actrice de 26 ans révélée par le film Juno, était à Vegas pour prendre la parole pendant une conférence LGBT.

«C'est étrange, a-t-elle dit d'entrée de jeu, parce que me voilà en tant qu'actrice représentant cette industrie qui nous écrase de ses normes. Des normes de beauté, de vie réussie, de succès. Des normes qui, je déteste l'admettre, m'ont atteinte.»

Son magnifique plaidoyer pour les jeunes lesbiennes, gais, bi, trans ou queers a duré huit minutes au milieu desquelles l'actrice, émue et les yeux humides, a fait le plus touchant coming-out de l'histoire des coming-outs.

Si Ellen Page vivait dans la Russie de Poutine, elle serait probablement aujourd'hui en prison pour son témoignage. Il ne faudra pas l'oublier à l'heure des bilans quand Marcel Aubut ne manquera pas de faire l'apologie du succès éclatant des Jeux de Sotchi.