Vous ne l'avez jamais vue à Tout le monde en parle, chez Pénélope ou même à Deux filles le matin. Mais si vous fréquentez le Festival TransAmériques (FTA) en mai, vous n'avez pas pu la manquer. Avec ses petites lunettes cerclées de rouge ou de magenta sous des cheveux courts d'un blanc incandescent, Marie-Hélène Falcon et son look singulier étaient immédiatement identifiables dans la foule. Pendant 30 ans, Marie-Hélène a dirigé et tenu à bout de bras le Festival de théâtre des Amériques, puis le FTA, ce festival de théâtre et de danse, contemporain et audacieux, qui a accueilli sur ses scènes les grosses pointures de l'avant-garde du monde entier.

Avec le souci constant de lutter contre l'isolement culturel québécois, Marie-Hélène a offert au public d'ici des monuments comme Robert Wilson, Frank Castorf, Alain Platel, Peter Brook, Ariane Mnouchkine et plus récemment Roméo Castellucci, tout en étant instrumentale au déploiement des carrières internationales de créateurs comme Robert Lepage et Denis Marleau.

Mais hier, après 30 ans de fidèles et loyaux services, la directrice a décidé non sans un pincement au coeur de tirer sa révérence. Elle ne quittera pas le FTA en 2014 parce qu'elle est malade, parce que son conseil d'administration lui a montré la porte ou pour passer plus de temps auprès des petits-enfants qu'elle n'a pas. Elle partira pour donner la chance à une autre génération de prendre le relais. Elle partira aussi, comme elle me l'a dit hier, parce que le FTA - qui a gagné récemment le Grand Prix du Conseil des arts de Montréal - va mieux que jamais, qu'il n'a pas de déficit et dispose d'une équipe solide pour assurer son avenir.

Il faut applaudir ce geste que font rarement les gens de la génération de Falcon dans le milieu culturel. Combien d'entre eux ont dépassé l'âge de la retraite et préfèrent prolonger leur mandat indéfiniment? Ils ne le font pas pour mal faire. La décision de quitter l'événement qu'on a fondé, la troupe ou l'institution qu'on a bâtie n'est jamais facile. Et d'autant que le milieu culturel québécois n'offre pas une grande mobilité professionnelle à ses artisans. Ici, on ne quitte pas une fonction pour en assumer une plus importante ailleurs, comme ça se fait dans des sociétés plus riches et plus populeuses. Ici, on part généralement sans avoir nulle part où aller. Mais s'éterniser dans un organisme ou une organisation culturelle, c'est le condamner à la longue à une forme de stagnation ou d'étouffement. Le Festival des films du monde, qui n'a pas changé de direction artistique depuis 37 ans, en est le meilleur exemple. Si ce festival, qui a connu des heures plus glorieuses, avait fait de la place à du sang neuf, peut-être qu'il serait en bien meilleure posture.

Un festival est un organisme vivant. Pour grandir et évoluer, il a constamment besoin de se réinventer, de se confronter à de nouvelles idées et d'accueillir en son sein de nouvelles sensibilités.

Bref, vient un jour où il faut savoir partir et laisser aux plus jeunes la possibilité d'écrire la suite de l'histoire. Marie-Hélène Falcon l'a compris d'elle-même. Puisse son geste servir d'exemple.

Un jour, il faut savoir revenir

Avec les accords de Meech, Brian Mulroney a voulu que le Québec revienne dans la Constitution canadienne dans l'honneur et l'enthousiasme. Même si Meech a été un échec, la bonne foi de ses accords pourrait inspirer ceux qui boycottent les Gémeaux.

Le gala de dimanche a en effet fait la preuve qu'un vent de renouveau souffle sur la remise de prix, qu'une plus grande équité règne au sein des jurys qui, pour une fois, ont pris le risque de ne pas systématiquement récompenser les mêmes figures connues - exception faite, bien sûr, du double couronné Claude Legault. Sur les 18 prix remis en ondes, 8 sont allés à Radio-Canada, 4 à TVA, 2 à Télé-Québec et le reste du lot a été partagé entre TV5, Séries+, Vrak et le web.

Aucun palmarès n'est parfait, mais celui de dimanche penchait dans la bonne direction. L'importance des Gémeaux n'est plus à faire, comme en témoignait la présence dans le Théâtre Maisonneuve de nulle autre que la première ministre, Pauline Marois, mais aussi de la nouvelle ministre du Patrimoine, Shelly Glover, du ministre de la Culture, Maka Kotto, et du chef de l'opposition à Ottawa, Thomas Mulcair. Il ne manquait que quelques figures connues pour que la famille soit complète. Alors, je pose ma question: qu'est-ce que Fabienne et Julie attendent pour revenir dans l'honneur et l'enthousiasme aux Gémeaux?

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Le FTA en dix dates

L'annonce du départ prochain de Marie-Hélène Falcon nous donne l'occasion de revenir sur les faits marquants de son directorat. Survol des trois dernières décennies.

> 1985: premier Festival de théâtre des Amériques (FTA) à Montréal, cofondé par Marie-Hélène Falcon et Jacques Vézina.

> 1986: le FTA coproduit la pièce Le Titanic de Jean-Pierre Ronfard. La mise en scène est signée Gilles Maheu et se déroule dans un cimetière de voitures du Mile End.

> 1987: La trilogie des dragons de Robert Lepage est présentée dans sa version de six heures à l'intérieur d'un hangar du Vieux-Port. La pièce remporte le grand prix du jury.

> 1989: L'annonce faite à Marie de Paul Claudel est mise en scène avec maestria par Alice Ronfard à la chapelle du Grand Séminaire de Montréal.

> 1992: le FTA fait venir la grande Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil qui présentent Les Atrides à l'aréna Maurice-Richard.

> 1996: afin de «répondre à la demande du public et de maintenir une présence annuelle», le FTA lance une manifestation entre deux festivals, le volet Théâtres du monde.

> 2000: la pièce Le costume du metteur en scène Peter Brook est programmée dans le cadre de Théâtres du monde.

> 2007: le Festival de théâtre des Amériques devient le Festival TransAmériques. Il intègre désormais la danse contemporaine après la disparition du Festival de nouvelle danse.

> 2009: le FTA présente Le grand continental du chorégraphe Sylvain Émard. Cet événement participatif devient un phénomène qui sera repris à Mexico, New York, Philadelphie et Ottawa.

> 2014: le prochain (et dernier) FTA sous la barre de Marie-Hélène Falcon se tiendra du 22 mai au 7 juin.