Sur le plan économique ou politique, je suis bien en peine de définir l'héritage que laisse madame Thatcher. Sur le plan culturel, par contre, laissez-moi vous dire que l'héritage est abondant, polymorphe et polyvalent. Pas parce que Miss Maggie n'était pas une grande patronne des arts ni une femme férue de culture.

De ce que j'en ai lu, la dame avait des goûts artistiques passablement conservateurs. Mis à part l'occasionnelle soirée à l'opéra qu'elle insistait pour payer de sa poche, et une grande admiration pour le compositeur Bela Bartok qui l'a menée jusqu'à Southampton à un concert hommage lors de sa mort, la Dame de fer ne vivait pas précisément pour les arts et la culture.

En revanche, elle a été une source inépuisable d'inspiration pour une profusion d'artistes, qu'ils soient musiciens comme Morrissey, Billy Bragg, Elvis Costello ou Renaud, cinéastes comme Stephen Frears, Derek Jarman ou Stephen Daldry, ou auteurs de comédies musicales comme Lee Hall.

Ce dernier a d'abord scénarisé pour le cinéma, puis pour la scène, l'histoire de Billy Elliot, ce fils de mineur qui rêve d'être danseur dans un petit village minier acculé au chômage et à la faillite par les politiques antisyndicales de madame Thatcher.

Le jour de la mort de la dame de fer, Billy Elliott, la comédie musicale, était toujours à l'affiche du théâtre dans l'ouest de Londres où elle a été créée il y a huit ans. Non seulement la représentation n'a pas été annulée, mais la production a demandé au public de se prononcer sur la chanson qui ouvre le deuxième acte.

Dans cet hymne ironique, à la fausse gloire de la Dame de fer, le choeur chante: «Joyeux Noël, Maggie Thatcher. Aujourd'hui c'est jour de fête parce que c'est un jour de plus qui nous rapproche de votre mort.»

Lundi soir, le public aurait pu voter pour que la chanson soit retirée du spectacle. Il a plutôt voté pour qu'elle soit maintenue. C'est tout dire.

Le lendemain, Ken Loach, le grand maître du cinéma social britannique, dont l'oeuvre est un cri de révolte contre les ravages du thatchérisme, s'est opposé publiquement à ce que la Dame de fer ait de funérailles nationales.

«Qu'on lui rende hommage en privatisant ses obsèques, en faisant jouer la concurrence et en allant au moins offrant. C'est exactement ce qu'elle aurait fait», a lancé, avec amertume, le cinéaste.

Ken Loach n'est pas le plus méchant ni le plus virulent des artistes, ennemis de madame Thatcher.

Morrissey, le mythique et ex-chanteur des Smith's, celui qui a lancé en 1988 la chanson Margaret on the Guillotine, s'est défoulé dans une lettre ouverte publiée sur le site américain du Daily Beast.

Elle a détruit l'industrie manufacturière britannique, elle haïssait les mineurs, elle haïssait les arts, elle haïssait les pauvres et n'a rien fait pour les aider... En réalité, Thatcher était une terreur sans un atome d'humanité», conclut Morrissey.

Dans le concert discordant des cris de joie saluant la mort de la Dame de fer, seule l'ex-Spice Girl Geri Halliwell a eu le malheur (ou l'étourderie) de se porter à sa défense avant de se confondre en excuses devant la violence de la riposte et l'intensité des protestations.

Si une muse est cette déesse qui inspire le poète, alors Miss Maggie était à coup sûr une muse, mais une muse noire, maudite, honnie, ridiculisée dont on appelait la mort, virtuelle et physique.

Le fait qu'elle soit une femme affublée de tous les attributs (ou défauts) masculins n'a pas aidé sa cause. Ses politiques radicales et ses mesures de droite non plus.

En même temps, je m'interroge sur la haine farouche, féroce et un brin puérile que plusieurs artistes britanniques ont nourrie à son endroit. Qui au juste détestaient-ils à travers la figure de Margaret Thatcher? Leur mère? Leur patrie? Une part d'eux-mêmes? Leur impuissance?

Pendant les 11 ans de son règne et même après, Miss Maggie a été l'obsession de toute une génération d'artistes. Ils ne l'avoueront sans doute jamais, mais ils doivent se sentir un brin orphelins.

Certains comme l'auteur compositeur post-punk Pete Mylie, qui a écrit la chanson Le jour où Margaret Thatcher mourra, en a rajouté. «Je voudrais qu'elle meure encore et encore, a-t-il écrit. Haïr à ce point-là, n'est-ce pas en fin de compte aimer à l'envers?»