Il en est des peintres comme des acteurs ou des curés. Certains acteurs ne gagneront jamais d'Oscar, certains curés ne seront jamais invités à siéger au Vatican et certains peintres n'entreront jamais au musée. Mais attention: l'absence de reconnaissance muséale n'est pas forcément pour un artiste, le synonyme honteux d'un manque de talent, de technique ou de légitimité. C'est simplement que sa démarche - si démarche il y a - ne s'inscrit pas dans un courant historique et ne correspond pas à l'esprit de recherche des conservateurs.

Bref, un peintre peut très bien vivre de son art et connaître le succès, sans être admis au musée. C'est le cas de la peintre québécoise Johanne Corno, installée à New York depuis 20 ans. Vous ne trouverez aucune de ses oeuvres dans un musée au Québec ni dans les collections de prestige des institutions comme la Banque Nationale ou la Caisse de dépôt. Seules cinq de ses toiles peintes entre 1984 et 1986 ont été acquises par le programme de Prêts d'oeuvres d'art du Musée national des beaux-arts du Québec. Aux dernières nouvelles, ses toiles circulent beaucoup dans les ministères et les délégations internationales et sont surtout appréciées pour leurs couleurs flamboyantes et leur valeur décorative.

Souvent citée dans les magazines féminins ou dans la chronique people, Corno fait enfin l'objet d'un film sérieux: un documentaire de Guy Edoin présenté aujourd'hui au FIFA et lancé en salle le 29 mars.

Tout simplement intitulé Corno et tourné au printemps dernier, le film nous invite à partager le processus créatif de Corno pendant qu'elle planche sur une nouvelle expo dans son atelier new-yorkais. Ce qu'on y découvre? Une femme de 60 ans, pleine de fougue, de détermination et d'énergie, qui est à la fois peintre et machine à peindre, qui se situe uniquement dans l'action, dans le geste, brut et brutal, et qui ne manque pas de maîtrise technique ni de coeur à l'ouvrage.

Face à la toile blanche, Corno ne réfléchit pas, ne prend aucun recul. Elle plonge dans la peinture comme dans le tumulte de la mer. C'est ce qui fait sa force, mais aussi, ses limites. Car à trop foncer tête première sans réfléchir, Corno finit par tourner en rond, par se répéter et par évoluer à petites doses quand elle évolue du tout, ce qui explique pourquoi les musées la boudent et pourquoi le programme de Prêts d'oeuvres n'a plus rien acheté d'elle depuis 1986.

Certains camarades critiques d'art étaient proprement insultés qu'on fasse un film sur Corno plutôt que sur des artistes moins commerciaux mais plus audacieux comme Nicolas Baier, Valérie Blass, Geneviève Cadieux, Sylvain Bouthillette ou Rafael Sottolichio. Ce n'est pas mon cas. Je ne vois pas pourquoi Corno ne mérite pas qu'une caméra se penche sur son cas. Et d'autant plus que la caméra de Guy Edoin fait un magnifique travail d'observation, capte avec sensibilité les détails de son univers vibrant et nous donne à voir une Corno plus vulnérable et tourmentée que celle que les médias ont figée dans une image glam et superficielle.

On saisit mieux Corno en la voyant à l'oeuvre jour après jour dans son atelier, combattant le doute et suant sang et quelques larmes pour arriver à ses fins. On sent sa solitude, ses tourments, ses regrets. On voit aussi qu'elle vit bien: bel appartement, super atelier, tout cela grâce à des toiles qui se vendent entre 20 000 et 45 000$. Mais en filigrane, on comprend que la cage dorée dans laquelle elle vit au nom d'une liberté chèrement acquise est, en fin de compte, une prison artistique, commerciale et intellectuelle.

Corno a beau répéter avec insistance qu'elle est libre et ne peint pas pour l'argent, mais pour l'amour de l'art, le film de Guy Edoin montre le contraire. Qu'elle l'admette ou non, Corno est d'abord au service d'un marché et d'un commerce qui dictent les grandes lignes de sa production. Ce n'est pas un crime ni un péché. C'est une réalité. Un jour, Corno devra l'assumer.

ON EN PARLE TROP

La neige, l'hiver, pelleter, pester, sacrer et se consoler avec une partie du Canadien.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Des scénaristes et des auteurs de télé. Ce sont eux qui, pourtant, écrivent et construisent jour après jour les histoires qui nous captivent, eux qui inventent et dessinent les personnages qui nous deviennent presque aussi familiers que nos proches. Tout le monde connaît le nom des acteurs, mais jamais le nom de ceux qui leur permettent de briller à travers une réplique ou un rôle. Faudrait y voir.