Elles sont caissières, ménagères, serveuses, enseignantes ou bibliothécaires. Elles sont aussi prostituées ou danseuses nues. Mais rarement les femmes à l'écran dans les films québécois réalisés par des hommes sont voyageuses, aventurières, pionnières, visionnaires ou héroïnes. Aux acteurs, les grands rôles; aux actrices, les personnages secondaires.

C'est du moins ce que conclut une étude inspirée des recherches du Gender Davis Institute aux États-Unis et réalisée pour le compte des Réalisatrices équitables, un organisme qui milite pour une présence accrue et plus équitable du travail des réalisatrices à l'écran.

À la source de cette étude, une question posée par la réalisatrice Marquise Lepage: est-ce que le manque de femmes derrière la caméra a un impact sur la représentation des femmes devant? Autrement dit, le sexe des cinéastes fait-il une différence? La réponse, c'est oui, évidemment.

Pour le prouver, une petite équipe de chercheuses, sous la direction d'Anna Lupien, se sont livrées à une étude comparative en épluchant 35 films québécois de 2011 comme Funkytown, Frisson des collines, Le sensde l'humour, Starbuck, Monsieur Lazhar, Café de Flore, La fille de Montreal et Nuit #1. Et comme sur les 35 films, 28 avaient été réalisés par des hommes et seulement 7 par des femmes, les chercheuses ont compensé le déséquilibre en y ajoutant cinq films réalisés par des femmes en 2010. Au total, 899 personnages parlants ont été examinés, dont 290 dans le détail.

Le résultat n'est pas vraiment étonnant: les hommes réalisent des films qui racontent des histoires de gars mettant en vedette des héros masculins. Les femmes en font autant pour leur propre sexe, mais comme elles réalisent moins de films et avec seulement 15% des budgets de la SODEC et de Téléfilm, leurs histoires et leurs héroïnes occupent moins de temps-écran, ont moins de poids et n'arrivent pas à devenir une référence sociale ou culturelle signifiante.

Parmi les éléments les plus notables de cette étude, on apprend que les personnages féminins mis en scène par des réalisateurs ont tendance à être plus stéréotypés que ceux imaginés par les femmes réalisatrices.

En contrepartie, dans les films réalisés par les hommes, les personnages féminins ont un métier dans 52% des cas. Le pourcentage est légèrement plus élevé que le taux de 48% noté dans les films réalisés par des femmes.

Mais si les hommes font davantage travailler leurs personnages féminins, encore faut-il voir les métiers qu'ils leur donnent. Dans les films réalisés par des hommes, 18% des personnages féminins sont secrétaires ou serveuses, 15% sont enseignantes ou bibliothécaires et 8% sont prostituées ou danseuses nues. Ce qui nous amène à l'épineuse question du sexe et de la nudité.

Bien que les réalisatrices n'éprouvent aucune gêne ou pudeur à tourner des scènes de sexe comme en témoigne Nuit #1 d'Anne Émond, les réalisatrices sexualisent les personnages féminins cinq fois moins que les réalisateurs. Ces derniers n'ont pour ainsi dire pas besoin de scènes de sexe pour vêtir les personnages féminins de tenues sexy, pour fragmenter leurs corps en gros plan ou pour leur attribuer des signes de grande disponibilité sexuelle.

Notez qu'il n'est pas question des scénaristes dans cette étude, même si ce sont eux qui inventent les histoires et créent des personnages. Ce n'était pas vraiment nécessaire. Les chercheuses ont en effet découvert que sur les 12 films réalisés par des femmes, 11 avaient été scénarisés par des femmes. Du côté des réalisateurs, sur les 28 films échantillonnés, 24 avaient été écrits par des hommes, 2 par des femmes et 2 par une équipe mixte de scénaristes. Bref, le clivage que l'on constate à l'écran n'est que le prolongement de ce qui se passe à l'étape de l'écriture et de la scénarisation.

Pourquoi une telle étude, hormis le fait que le 8 mars approche?

Pour la sociologue et féministe Francine Descarries, qui a participé à l'étude, la raison est simple. «Pour démythifier le mythe de l'égalité, a-t-elle déclaré hier. Sous prétexte que les femmes sont en nombre de plus en plus important dans la société, on a l'impression que tout est réglé. Mais la discrimination perdure et les changements sont lents. Il faut absolument briser cette impression que les femmes n'ont plus besoin de lutter pour l'égalité.»

L'inégalité vécue par les réalisatrices est d'autant plus criante que sur les bancs des écoles de cinéma, les jeunes aspirantes cinéastes sont aussi nombreuses que leurs camarades masculins. C'est au moment de démarrer leur carrière que les choses se corsent alors qu'elles se butent à des producteurs, diffuseurs et distributeurs froids ou indifférents à leurs histoires et à leur imaginaire. C'est dire que dès le fil de départ, on leur barre la route et on leur ferme, en somme, la porte du cinéma. À force de voir que leurs projets intéressent peu ou pas, les réalisatrices finissent par se décourager et par abandonner.

Pourtant, lorsqu'elles arrivent à se trouver un producteur et que leurs projets sont déposés aux institutions pour un financement, elles essuient rarement un refus. À la SODEC, par exemple, entre 2008 et 2011, les réalisatrices ont soumis 29,1% des projets de films et 28,3% ont été acceptés en production, une excellente moyenne au bâton. N'empêche. Les réalisatrices demeurent minoritaires, marginalisées et condamnées à des enveloppes budgétaires qui n'ont pas augmenté depuis vingt ans. Un jour, peut-être que les réalisatrices obtiendront la parité avec les réalisateurs. En attendant, le cinéma québécois se prive et prive les spectateurs de leur diversité, de leur sensibilité et, ultimement, de leur vision du monde.