Aux Prix Emmy qui récompensent la télé américaine, la prochaine grande gagnante risque d'être une série qui n'a jamais été diffusée à la télé. Son titre? House of Cards. Treize captivants épisodes mettant en vedette le cruel et cynique Kevin Spacey dans le rôle de Francis Underwood, un congressman rancunier et assoiffé de pouvoir. N'ayant pas obtenu le poste qu'il convoitait, il va se venger en grand du Congrès et de la Maison-Blanche.

Le 1er février dernier, Netflix,  service internet de films et d'émissions télé en flux continu, a offert la série à ses 27 millions d'abonnés. Je parle de tous ceux qui, comme moi, paient 7,99$ par mois pour avoir le privilège de regarder un film ou une série sur l'iPad, l'ordi ou la télé, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, et cela sans une seule pause publicitaire.

Notez que House of Cards, adaptée d'une série britannique par le scénariste de l'excellent film The Ides of March et réalisée en partie par David Fincher (The Social Network), est la première série originale produite exclusivement pour Netflix.

Notez surtout qu'au moment de son lancement, Netflix, qui se voit comme le bras armé de la révolution des téléspectateurs, a mis en ligne les 13 épisodes d'un coup.

Oubliez les rendez-vous hebdomadaires et les intrigues révélées en doses homéopathiques qui vous font agoniser pendant une semaine, en vous demandant qui a donc tué JR ou Laurence Leboeuf dans Trauma?

Netflix estime que ses abonnés sont des adultes majeurs, vaccinés et très occupés et que c'est à eux de décider quand et comment ils vont visionner House of Cards. Et tant pis s'ils passent une nuit blanche à visionner compulsivement les 13 épisodes au complet. Tout le monde est libre, non?

Il n'en fallait pas plus pour que les médias américains s'insurgent contre les dangers du visionnage compulsif. Certains accusent carrément Netflix de vouloir tuer la télé sociale et sa communauté de téléphages, qui se réunissent autour de la machine à café au bureau pour débattre de l'épisode de leur série préférée diffusé la veille.

«Comment les téléspectateurs qui ont consommé compulsivement les 13 épisodes de House of Cards d'un coup peuvent-ils échanger avec leurs congénères qui n'en ont vu qu'un ou deux, sans leur révéler les punchs et gâcher leur plaisir?» demande le New York Times.

La question, à mon avis, est futile. D'abord parce que Netflix n'a pas inventé le visionnage compulsif. Cela fait plusieurs années déjà que les télévores attendent qu'une série sorte en coffret (ou sur Tou.tv) pour la regarder d'un trait.

Je l'ai fait, vous l'avez fait, tout le monde l'a fait. C'est comme plonger dans un roman de 1000 pages. Non seulement on a l'impression d'en avoir pour son argent, mais le plongeon dans un univers qui nous sort de notre quotidien semble plus profond et plus intense.

Cela dit, il y a moyen de visionner House of Cards sans devenir obsessif compulsif. J'en suis la preuve. J'ai commencé à regarder House of Cards cette semaine après les nouvelles, à raison d'un épisode par soir. Plutôt que de bouffer tout le sac de chips, j'essaie de faire durer le plaisir.  Plutôt que de me bourrer, je picore et je savoure. Évidemment, le lendemain, dans la salle de rédaction, je ne peux parler à personne du dernier coup bas que Francis Underwood a fait au président ou au syndicat des enseignants. Pas parce que mes camarades sont en retard sur le visionnage. Plutôt parce qu'aucun d'entre eux n'est abonné à Netflix.

Ce n'est pas plus mal. Entre vous et moi, je n'ai pas absolument besoin de parler à quelqu'un de House of Cards, notamment parce que j'estime qu'il y a des sujets autrement plus importants sur lesquels échanger devant la machine à café.

C'est vrai que Netflix sonne peut-être la fin de la télé sociale, mais nous n'en mourrons pas. La télé a beau être un média de masse, Netflix semble avoir compris avant les autres que c'est aussi un plaisir solitaire.

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On en parle trop

La disparition du sou noir. Si je n'ai pas vu 202 reportages à la télé sur le sujet, je n'ai en pas vu un. Je pense qu'on a compris. La pièce de 1 cent s'en va. Bon débarras. Pourrions-nous passer à un autre appel et nous pencher sur un autre sujet d'importance nationale comme la disparition du 5 cents?

On n'en parle pas assez

Claude Robinson qui, le 13 février prochain, va vivre devant la Cour suprême l'ultime round d'un combat ubuesque qui dure depuis 17 ans. Même s'il a fait la une de Voir dernièrement, Claude Robinson ne fera jamais assez parler de lui ni de sa bataille épique pour la défense du droit d'auteur.