Nous, les médias, dans le fond, nous sommes de bonnes grosses poires, soumises et dociles, de la pâte molle et manipulable. Un relationniste nous appelle et nous propose un projet de fou, hautement promotionnel, avec une grosse vedette américaine et on dit oui toute de suite. On ne pose pas de questions ni de conditions. On saute sur l'occasion comme la misère sur le pauvre monde.

C'est ainsi qu'une délégation de 200 personnes, composée de 150 journalistes de 82 pays dont Anne-Marie Withenshaw et Mike Gauthier, et d'une cinquantaine de fans, ont embarqué à bord du Boeing 777 avec la belle Rihanna. Au menu: sept jours, sept villes, sept concerts de Los Angeles jusqu'à New York en passant par Mexico, Toronto, Paris, Londres, Berlin et Stockholm.

On m'aurait proposé l'aventure que j'aurais accepté tout de suite. Parce que je ne suis pas plus fine que les autres, mais aussi parce qu'à première vue, c'était un projet unique en son genre: vivre pendant 7 jours et 7 nuits la cadence frénétique d'une tournée mondiale en ayant un accès privilégié avec une star de la pop. Qui serait assez fou pour refuser?

La tournée Unapologetic, a plutôt bien commencé, avec Rihanna chaloupant sur ses talons hauts dans les allées du Boeing et servant des rasades de champagne en en renversant la moitié sur le plancher.

Tout a bien commencé, mais bien vite, tout s'est morpionné. D'abord après sa perfo initiale d'hôtesse de l'air éméchée, Rihanna a disparu. Littéralement. Les journalistes à bord du Boeing ne l'ont plus jamais revue, autrement que sur scène ou alors, 30 secondes à l'aéroport. Sa non-disponibilité est devenue telle que les journalistes ont affiché sa photo dans l'avion sous la mention: disparue.

Privés de matière rédactionnelle et forcés de rabâcher les mêmes propos sur le show de la veille qui ressemblait exactement au show de l'avant-veille, les journalistes se sont mis à scander en vain: Save our jobs! Just one quote! Aidez-nous à garder nos postes! Rien qu'une citation!

À la disparition de Rihanna, ajoutez une organisation calamiteuse obligeant les participants à faire la file pendant des heures pour s'enregistrer à l'hôtel, pour prendre le prochain le vol, le tout ponctué de réveils en pleine nuit, de concerts retardés d'une heure ou deux et du je-m'en-foutisme total de Rihanna qui partait faire la fête jusqu'à 6 h du matin ou alors qui magasinait des dessous chic pendant que sa troupe poireautait dans l'avion paralysé sur le tarmac à Paris depuis plus de trois heures!

Bref, le projet unique a viré en cauchemar médiatique, forçant Rihanna à s'excuser publiquement (enfin) même si le titre de sa tournée Unapolegetic, annonce que la dame ne s'excuse jamais. Rihanna, a expliqué aux médias que c'est pour des raisons de santé et de repos qu'elle avait disparu du paysage et adressé la parole à personne. Certains en ont douté.

Ce ne sont pas tous les médias ont fait un compte rendu aussi critique que Jeff Rosenthal du Rolling Stone, ce qui pourtant aurait dû être la moindre des choses. Les journalistes voulaient sans doute rester en bons termes avec leurs pourvoyeurs de champagne. Mais surtout, ils savaient que ce qu'ils ont vécu avec Rihanna est monnaie courante dans la dictature du showbizz américain. Dans ce régime dictatorial érigé en système, les médias sont traités comme du bétail par des relationnistes omnipotents qui les attirent avec du miel puis leur tombent dessus avec mille interdictions - pas de caméras, pas de photos, pas de questions - leur jetant de temps à autre, une carotte à grignoter. Et nous les imbéciles, on suit, on en redemande. Faites-nous mal, traitez-nous comme des moins que rien. Tant qu'il y a du champagne, ça va!

Je ne pense pas que Rihanna voulait mal faire en faussant compagnie aux journalistes. En revanche, je suis convaincue que son entourage et elle pensaient sincèrement que les médias ne méritaient pas mieux.