C'était comme le calme avant la tempête, l'insouciance avant le drame, le rire avant les larmes, avant la peur, avant la confusion et le sang. Une soirée surréaliste, doublée d'un moment historique, qui s'est muée en cauchemar.

La comédienne Danièle Lorain est arrivée au Métropolis peu de temps avant le discours de Pauline Marois, mardi soir. Sa mère Denise Filiatrault lui avait conseillé de passer par la porte d'en arrière, là où Denise elle-même était passée pour le dernier grand rassemblement souverainiste, là où une semaine plus tard se tiendrait un tireur fou avec une cagoule ridicule et un AK-47 pourri.

Mais lorsque Danièle Lorain est arrivée, l'entrée du Métropolis était dégagée, alors elle s'y est engouffrée. «La première réflexion que je me suis passée, c'est: mon Dieu, on entre ici comme dans un moulin. Où sont les agents de sécurité?» Plus tard, quand elle a vu les gardes du corps surgir sur scène pour escorter Pauline Marois, elle a senti le souffle glacé du danger. «J'avais l'impression que dans la salle, les gens ne voyaient pas que c'était grave et que sur scène, ceux qui savaient cherchaient à gagner du temps. Une partie de moi voulait se pousser à tout prix, et l'autre disait: ben non, tu t'en fais pour rien».

Jean-René Dufort, d'Infoman, se tenait près de la porte de côté. Pas celle de l'entrée des artistes, mais l'autre, car il était convaincu de pouvoir attraper Pauline Marois et lui poser quelques questions à la caméra. L'infomobile était garée dans la rue Saint-Dominique, près de l'entrée des artistes. Elle y est d'ailleurs encore, retenue comme preuve sur la scène de crime.

«C'est une soirée weird comme j'en ai rarement vu. On ne comprenait rien de ce qui se passait. On voyait Yves Desgagnés sur scène parler d'une bombe assourdissante, mais on n'avait rien entendu. Quand on est sorti dehors, c'était encore plus surréaliste, il y avait de la police, des pompiers, des ambulances et des manifestants qui arrivaient [de la place] Émilie-Gamelin. Plus ça allait, moins on comprenait.»

La comédienne Joëlle Morin avait réussi à se faufiler jusqu'à l'avant de la scène. Elle écoutait Pauline, son drapeau dans les mains, un grand sourire euphorique aux lèvres quand, subitement, quelqu'un l'a bousculée. La comédienne s'est écartée à temps pour laisser passer un bataillon de gardes du corps de la Sûreté du Québec (SQ) qui s'est précipité sur scène. «Mais ils ont sorti Pauline d'une manière si gauche qu'au début, j'ai cru à une blague. Je me disais qu'en homme de théâtre, Yves Desgagnés avait peut-être monté le coup. Puis quand il est venu sur scène, l'air calme, j'ai pensé à une mauvaise blague de la part d'un pas fin. Pauline a été magistrale de sang-froid. Quand elle s'est adressée à nous, j'ai senti son amour véritable pour ses militants et, surtout, j'ai vu une femme qui avait plus à coeur la sécurité des gens que la sienne.»

La comédienne Patricia Tulasne est passée de l'exaltation à la tristesse, puis à la colère en quelques secondes. «J'étais figée sur place. On nous disait de sortir, mais moi, je ne voulais pas arrêter la fête ni couper court à ce moment émouvant, incapable d'imaginer qu'à peine après avoir élu Pauline, on veuille l'assassiner.»

Quelques minutes avant minuit, le portier au crâne lisse posté à la fameuse porte a compté qu'il venait de travailler 16 heures en ligne. Épuisé, il a décidé de tirer sa révérence. En quittant son poste, il a croisé un technicien de scène dont le quart de travail commençait plus tard. «Qu'est-ce que tu fous ici, va prendre un café!» Mais le techno était arrivé à l'avance pour ne rien manquer du discours de Pauline - le dernier qu'il entendrait avant de tomber sous les balles de Richard Henry Bain.

Le soir du 30 octobre 1995, le camp du Non a tenu son grand rassemblement au Métropolis. J'y étais, et je me souviens encore du silence de mort qui avait accueilli le discours de Jacques Parizeau. Ce soir-là, on avait craint du grabuge. Quelques escarmouches entre militants souverainistes et fédéralistes avaient en effet éclaté rue Sainte-Catherine, mais le jeu s'était vite calmé et il n'y avait eu ni morts ni blessés.

J'ai trouvé étrange que Pauline accepte de fêter sa victoire sur le lieu d'une vieille blessure. Sans doute voulait-elle tourner la page et prendre une douce revanche sur le passé. Mais dans ce Métropolis bondé et exalté, le mauvais sort s'est une fois de plus acharné sur elle, mais surtout sur un innocent qui voulait vivre un moment historique et qui en a payé de sa vie.