On le croyait fait de bois dur, d'acier galvanisé, de béton armé. Mais Gabriel Nadeau-Dubois, GND pour les intimes, est finalement humain. Meurtri par les attaques qu'il n'a cessé d'encaisser à titre de visage officiel de la radicalité étudiante, et sans doute épuisé par l'incroyable marathon médiatique qu'il mène sans répit depuis six mois, celui qui passait autant pour un héros incandescent qu'un dangereux terroriste a démissionné.

Hier matin, dans une lettre publiée par Le Devoir et adressée aux militants et membres de la CLASSE, GND a annoncé sans fanfare qu'il quittait son poste de co-porte-parole afin que du sang neuf puisse se remettre à circuler dans la coalition. Par mesure de prudence, il a toutefois ajouté qu'il ne renonçait pas pour autant à disparaître de la rue et des assemblées.

Impossible de savoir si son départ est un drame ou un soulagement pour ceux qui militaient à ses côtés, parfois dans un climat de tensions et de tiraillements internes dont les échos ont résonné jusque dans les salles de rédaction.

Chose certaine, s'il y a quelqu'un qui doit déjà regretter amèrement le départ de Gabriel Nadeau-Dubois et qui perd en lui un «allié» sûr et un bouc émissaire idéal, c'est le premier ministre Jean Charest.

Sans Gabriel, haranguant les foules, le regard clair, le poing levé, la voix pleine de colère, Jean Charest n'aura plus d'épouvantail à agiter, plus de démon blond à accabler de tous les torts de la terre. Sans Gabriel comme porte-étendard de l'incurie sociale et de ses violents débordements, le roi sera nu et obligé de rendre des comptes sur personne d'autre que lui-même.

On peut d'ailleurs se demander s'il n'y a pas un brin de stratégie politique dans la décision subite de GND de quitter la scène publique. Dans sa lettre, il écrit d'ailleurs que son seul regret, c'est de quitter ses fonctions alors que Jean Charest est toujours premier ministre du Québec. Pas fou, le militant a sans doute compris que son départ était la meilleure façon de nuire à Jean Charest et de s'assurer qu'il ne soit pas réélu.

En attendant l'issue finale, GND peut se féliciter d'avoir mené une fichue de belle lutte au nom des étudiants québécois et d'avoir contribué au réveil d'une société somnolente.

Qu'on soit d'accord ou non avec ses positions radicales et son idéalisme intransigeant, on ne peut nier l'impact qu'il a eu, que ce soit en redonnant espoir aux uns ou en faisant grincer des dents et grimper dans les rideaux les autres.

Ses camarades de la CLASSE ont beau dénoncer la personnalisation dont GND a fait l'objet pendant toute la durée de la crise, c'est précisément l'effet de cette personnalisation qui a permis au jeune et fougueux porte-parole de porter la cause étudiante à l'attention du monde entier.

GND n'a pas fait à lui tout seul le printemps érable. Léo Bureau-Blouin, Martine Desjardins et les milliers d'étudiants qui ont pris d'assaut les rues ont joué un rôle tout aussi déterminant. Mais GND a été le premier visage identifié et identifiable de la contestation, celui qui a allumé la mèche de la rébellion, celui qui a fait fondre notre indifférence à l'égard de revendications étudiantes. Son charisme, sa fougue et son éloquence ont fait le reste du travail.

Depuis les premiers jours de la grève jusqu'à l'imposition de la loi spéciale (78) en passant par le cycle exténuant des négociations avec le gouvernement, on imagine que la pression a dû être énorme et à la limite du supportable pour ce militant de 22 ans. Pourtant, malgré son jeune âge et son manque d'expérience politique, il n'a jamais lâché prise et s'est acquitté de son rôle de porte-parole avec un aplomb étonnant.

Plus important encore, à travers Gabriel Nadeau-Dubois, c'est toute une génération que les Québécois ont découverte: pas rien qu'une génération d'enfants gâtés comme ont prétendu certains avec mépris, mais des jeunes éduqués, cultivés, sachant s'exprimer clairement et dont l'intelligence et l'éloquence étaient une pub quotidienne sur le mérite des études collégiales et universitaires.

Le seul reproche qu'on pourrait faire à GND, c'est d'avoir participé avec un peu trop de docilité au cirque médiatique sans jamais refuser une seule des trois millions cinq cent mille demandes d'entrevue offertes par l'usine de l'information.

La trop grande visibilité de GND a fini par donner l'impression qu'il était un kid kodak comme les autres, complètement accro aux caméras et aux micros. En même temps, comment reprocher à un militant de 22 ans pour qui la cause passe avant tout, même la vie, de saisir chaque occasion pour se faire entendre?

Hier, pour une rare fois, GND n'a accordé qu'une seule entrevue, à Anne-Marie Dussault, sur RDI. J'ignore au prix de quel supplice celui qui n'a jamais dit non à un micro en est venu à cette décision.

Une chose est sûre: la cure de désintox des médias sera sans doute ardue pour Gabriel Nadeau-Dubois. Quant au repos, il sera amplement mérité.