«Une journaliste adulée par la France entière. Un homme promis aux plus hautes destinées. Un couple à qui tout paraît sourire. Une illusion collective, un scandale planétaire. Une histoire folle mais vraie.»

C'est en ces termes que l'éditeur Albin Michel lance chez nous Les Strauss-Kahn, une enquête en forme de roman, menée par deux femmes journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, qui nous entraînent dans les coulisses du couple mythique et maintenant déchu - peut-être même séparé - de Dominique Strauss-Kahn et d'Anne Sinclair.

Pourquoi maintenant, plus d'un an après ce fatidique 14 mai 2011 où DSK a été accusé d'agression sexuelle sur une femme de chambre du Sofitel Manhattan, puis relaxé trois mois plus tard? Pourquoi encore ressasser cette triste histoire qui a cessé de galvaniser la planète médias même si de nouvelles accusations, en France cette fois, ont été portées contre DSK?

Pourquoi ne pas tourner la page alors que la France a un nouveau président et que DSK a saboté à jamais ses chances?

Il y a autant de réponses à ces questions que de raisons qui justifient la parution de ce livre qui se lit comme un roman. Pour les journalistes qui l'ont écrit, il semblait primordial de revenir sur cette immense illusion qui a aveuglé les Français pendant des années et de pointer les signes avant-coureurs qui annonçaient la catastrophe, mais que personne n'a vus ou n'a voulu voir.

Pour nous qui ne vivons pas en France, qui n'avons jamais rien espéré de DSK, qui l'avons peut-être seulement découvert quand il était déjà trop tard, l'intérêt de cette histoire, outre sa leçon élémentaire de politique, est ailleurs. Sans doute dans sa démonstration des effets pervers de l'immense machine à images qui fabrique de toutes pièces des héros, lesquels sont rarement à la hauteur du mythe qui les auréole.

En cela, l'histoire d'un homme qui n'était pas celui qu'on disait, nous concerne aussi puisque nous vivons dans un monde peuplé de héros d'apparat qui attisent notre admiration alors qu'ils devraient réveiller notre sens critique et notre vigilance.

Cela dit, le titre du bouquin, Les Strauss-Kahn, avec en bandeau sa photo idyllique du couple dans des jours meilleurs, est un peu trompeur. Car on n'y apprend pas grand-chose sur Anne Sinclair sinon qu'elle était la star des stars de la télé quand elle a quitté son mari pour épouser en 1991 l'inconnu qu'était DSK, qu'elle a toujours fermé les yeux sur ses infidélités et ses virées dans les clubs échangistes et qu'elle est l'incarnation absolue de Stand By Your Man, l'hymne de Tammy Wynette.

Les journalistes en revanche nous abreuvent d'infos accablantes et d'anecdotes croustillantes au sujet de DSK, celui sur lequel François Mitterrand ne s'est jamais fait d'illusions, le qualifiant de «jouisseur sans destin», une image qui avec le recul apparaît effroyablement prophétique.

Grand protégé du premier ministre Lionel Jospin qui l'a nommé en 1997 ministre de l'Économie et des Finances, avant de le renier en 1999 lors d'un premier scandale pour rémunération d'un emploi fictif, DSK est une contradiction ambulante.

Socialiste de coeur, mais vivant dans un luxe ostentatoire grâce à la fortune personnelle de son illustre femme, ami avec Sarko chez qui il allait dîner à Neuilly quand Sarko était encore le mari de Cécilia et pas grand-chose d'autre, DSK collectionnait les garçonnières, dont une louée par son propre père, pour pouvoir s'envoyer en l'air avec toutes celles sur son chemin qu'il poursuivait avec insistance.

On savait vaguement tout cela, mais maintenant on le sait dans le détail avec noms, adresses et citations à l'appui.

Mais ce qui m'a le plus frappée, ce sont pas les imprudences que DSK commet à répétition en tant que ministre ou directeur du FMI. Le plus frappant, c'est l'aveuglement crasse de son entourage qui le vénère comme un dieu, convaincu qu'il est le sauveur des Français. DSK, lui aussi, en est convaincu et traite François Hollande de rigolo.

«S'il m'emmerde celui-là, je l'écrase», blague-t-il avec suffisance.

Le livre se termine le 6 mai, le jour de l'élection de Hollande. Pas invité sous la tente VIP de la place de la Bastille où la gauche socialiste célèbre sa victoire, «le jouisseur sans destin» a passé la soirée à Montparnasse dans l'appartement d'un ami, seul face à l'énorme gâchis de sa vie sans pouvoir blâmer personne sinon lui-même.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca