Un long ruban rouge de duct tape courait depuis la scène de la Cinquième Salle, traversait le hall de la Place des Arts sur toute sa longueur avant de franchir les portes d'entrée et de se jeter sur les pavés de la rue. Ce sont les Italiens fous et sublimes de la troupe Motus, invités dans le cadre du Festival TransAmériques, qui l'ont collé pendant les représentations d'Alexis, una tragedia greca, qui semble être le grand coup de coeur du public cette année.

La pièce est une magnifique variation sur Antigone, image par excellence de la révolte de la jeunesse, mais une Antigone parachutée à Athènes en 2008 pendant les émeutes étudiantes où Alexis, un jeune manifestant, a été abattu par la police. Impossible évidemment de ne pas dresser un parallèle entre Athènes 2008 et Montréal 2012 même si jusqu'à maintenant, Dieu merci, nous avons évité les morts et les bains de sang.

En sortant de ce génial spectacle, les larmes aux yeux, émue et remuée jusqu'au fond de l'âme, j'ai cherché l'équivalent d'Antigone dans la crise étudiante québécoise. L'actualité me l'a fourni deux jours plus tard avec cette image saisissante captée par le photographe de La Presse de Yalda, la fille d'Amir Khadir, arrêtée jeudi chez ses parents.

Au bras du policier qui vient de l'arrêter, Yalda fixe l'objectif de la caméra avec une fureur retenue, ses cheveux noirs auréolant l'ovale de visage, son regard noir brûlant de défi contre la loi de Créon, qui dans ce cas-ci, se nomme Charest.

Les tragédies grecques sont faites de ce regard-là et tout le théâtre de la terre aussi, me suis-je dit en voyant la jeune femme s'engouffrer dans l'auto-patrouille des policiers.

Si je vous parle de cette scène et que je pousse l'audace à mêler la vie et le théâtre, c'est que le FTA se termine ce soir. Que je fréquente ce festival depuis plusieurs lunes et qu'il ne m'a jamais semblé aussi pertinent et engageant que cette année.

À la fois brûlant d'actualité, dérangeant, émouvant à l'extrême, ce festival m'a fait vivre une gamme d'émotions fortes qui ont refusé de disparaître une fois le rideau tombé et ont réveillé en moi une débauche de questions et de réflexions.

Je n'ai pas vu toutes les pièces ni les spectacles présentés au cours des deux dernières semaines. J'ai fait une sélection un peu au hasard, hasard qui s'est avéré très fécond si je me fie aux frissons que j'ai encore quand je repense à certaines découvertes. Parmi celles-ci, il y a le travail extraordinaire des Italiens de Motus et ceux de la troupe de Romeo Castellucci et de son controversé spectacle Sur le concept du visage du fils de Dieu.

Je ne sais pas si c'est parce que ça va si mal en Italie, mais la crise qu'ils vivent semble avoir donné des ailes et une inspiration du tonnerre à ses créateurs de théâtre. Leurs trois spectacles-événements, très différents les uns des autres, étaient pourtant unis par la même fulgurante modernité, par une poignante humanité et par la profondeur de leur réflexion sur ce qu'est le théâtre. J'adore le théâtre québécois, mais ça fait du bien d'en sortir parfois pour constater que nous n'avons pas tout inventé, n'est-ce pas Wajdi?

Je serai éternellement reconnaissante à Marie-Hélène Falcon, la directrice du FTA, d'avoir eu le flair d'inviter ces créateurs italiens, devinant avant nous à quel point leurs propos et leurs propositions risquaient de faire vibrer nos cordes sensibles.

C'est rare que les gouvernements suscitent ma gratitude, surtout par les temps qui courent, mais dans le cas du FTA, je suis obligée de reconnaître que cet événement unique, placé sous le signe de l'aventure artistique plutôt que du commerce, ne saurait survivre sans l'apport des différents ordres de gouvernement. Alors, même si une fois n'est pas coutume, merci messieurs-dames les élus.

On aura beau dire que c'est aujourd'hui avec le Grand Prix que la saison des festivités débute à Montréal, en ce qui me concerne, c'est avec le FTA que tout commence vraiment. Par tout, je veux dire la vraie vie qui, contrairement à l'adage, n'est pas ailleurs, mais bien ici.