Partout sur les écrans, son visage lisse à la symétrie trop parfaite. Partout à la une des journaux, sa lippe boudeuse, son rouge à lèvres couleur sang, ses cheveux blonds ou noirs, son regard narcissique et froid. L'importance que les médias ont donnée au tueur sadique Luka Rocco Magnotta, maintenant en cavale après avoir tué et démembré un homme dans son appartement miteux de Côte-des-Neiges, n'est pas étonnante. Il est à la mesure de notre fascination morbide et collective pour les déviants, les sadiques, tueurs à la petite semaine, tireurs fous ou grands psychopathes.

Parfois, je me demande si notre fascination ne nourrit pas la bête, quand elle ne lui donne pas carrément naissance. Des fois, je tiens l'écrivain Truman Capote personnellement responsable de cette tendance lourde née en 1966, médiatiquement du moins, avec la parution de son extraordinaire récit In Cold Blood, sur les deux psychopathes qui ont massacré une famille au Kansas. Depuis, on dirait que notre fascination pour cette engeance sanglante n'a cessé de s'épanouir et de s'amplifier, fracassant des records d'intérêt morbide avec la parution en 1991 du American Psycho de Bret Easton Ellis, devenu par la suite un film-culte pour les amateurs d'horreur et pour les futurs tueurs comme Magnotta.

J'ai longtemps été fascinée par les tueurs et les psychopathes. Ma bibliothèque est remplie de livres de toutes sortes sur le sujet. Longtemps, j'ai voulu comprendre le mécanisme détraqué qui les poussait à abdiquer le peu d'humanité dont ils étaient pourvus, pour transgresser l'ultime tabou. J'étais convaincue que c'est en connaissant bien les symptômes et les signes avant-coureurs que la société pourrait prévenir le passage à l'acte des malades.

Longtemps, j'ai été comme la mère dans le roman Il faut qu'on parle de Kevin, qui répète inlassablement à son mari à l'optimisme suspect que leur fils ne va pas bien et qu'ils devraient en parler. Mais le mari ne veut rien entendre. Il faudra que son fils commette l'irréparable pour qu'il ouvre les yeux.

Et puis un jour, j'ai cessé de vouloir parler de Kevin ou de Karla, cessé de chercher à identifier les symptômes. Je venais de terminer la lecture de Columbine, une brique de 400 pages de David Cullen. Pendant plus de 10 ans, le journaliste a fait enquête, rencontré des centaines d'amis et de témoins, lu tous les journaux intimes des tueurs pour en venir à la conclusion que ces deux-là étaient des paumés furieusement ordinaires, nés au sein de familles tout ce qu'il y a de plus normales. À moins d'être pathologiquement parano ou muni d'un laser détecteur des fluctuations de l'humeur, les signes avant-coureurs de leur folie étaient invisibles à l'oeil nu. La lecture de Columbine m'a convaincue qu'il n'y a rien à comprendre à ces malades et s'il y a quelque chose à faire, c'est de les rayer de notre radar.

Ne leur faisons pas cadeau de notre fascination. Laissons-les à la police, à Interpol, aux psys et aux chercheurs en comportements déviants. Et surtout, n'encourageons pas les crétins mercantiles comme le type d'Edmonton qui refuse d'enlever de son site débile la vidéo de l'infâme crime perpétré par Magnotta. Ne le croyons pas quand il affirme que les vidéos non censurées qu'il diffuse sont un reflet de la réalité et qu'en nous prémunissant contre le pire, elles veillent à notre sécurité. Foutaise que cela! Voir l'horreur ne rend pas plus lucide. Ça ne fait que donner des idées aux cinglés qui attendent tapis dans l'ombre leur moment de gloire.

Partout sur le web, Luka Rocco Magnotta a laissé son empreinte numérique tordue. Un peu comme s'il nous avait offert tout le matériel nécessaire pour assurer la mise en page et de la mise en images des milliers de comptes rendus à son sujet.

Ce déluge visuel qui nous assaille donne mal au coeur. Mais il a un mérite: à moins que Magnotta se fasse greffer un nouveau visage, tôt ou tard, quelqu'un quelque part va le reconnaître et le dénoncer. Prions pour que ça ne prenne pas cent ans.