Ne soyons pas prétentieux ni inconscients. Il n'y aura pas de printemps arabe québécois. D'abord, le Québec n'est pas un pays arabe, ni même un pays au demeurant, et Jean Charest n'est pas Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi.

En revanche, j'aime assez l'idée d'un printemps érable, cette expression joliment ironique, lancée par les étudiants grévistes en graphisme de l'École de la Montagne rouge. Leur slogan a été récupéré par l'Orchestre des Artistes et la troupe La Conserve, deux entités formées d'élèves du Conservatoire de musique et d'art dramatique de Montréal. Ceux-ci présenteront demain, à 20h, à l'église Saint-Jean-Baptiste, rue Rachel, Le sacre du printemps érable, un spectacle en soutien au mouvement étudiant.

Jusqu'en mars dernier, on ne peut pas dire que les étudiants du Conservatoire de Montréal, évoluant dans les univers parallèles de la musique et du théâtre, se parlaient beaucoup. Ils se côtoyaient certes dans les couloirs de l'édifice de la rue Henri-Julien, mais c'était chacun son monde et sa chanson. Puis, comme tous les étudiants du Québec, ils ont senti se lever le vent de la contestation et ils ont voulu y participer à leur façon. Ils ont donc organisé un spectacle commun, peut-être le premier spectacle de ce genre dans l'histoire du Conservatoire, réunissant sur la même scène étudiants en musique et étudiants en théâtre.

Le spectacle On hausse le ton a eu lieu au Théâtre Rouge, le théâtre du Conservatoire, le 22 mars. On y a lu des textes contestataires de la revue Fermaille. On y a joué des oeuvres symphoniques un brin contestataires, aussi. Le spectacle fut un grand succès. Salle bondée, applaudissements à tout rompre. Une soirée magique, m'a dit une des organisatrices.

Le lendemain, tout le monde a fait la grève. Puis le surlendemain, les étudiants en musique, beaucoup plus nombreux, se sont joints au mouvement de grève générale illimitée pendant que leurs amis du théâtre... rentraient sagement en classe. De quoi diviser les troupes et déclencher les hostilités entre les acteurs et les musiciens? Absolument pas. Plusieurs soirs par semaine, acteurs et musiciens, grévistes et non grévistes, ont continué à répéter ensemble en vue du spectacle de demain, chacun comprenant et respectant les motivations de l'autre.

En principe, le spectacle du Printemps érable devait être placé sous le signe de la révolte et du ressentiment contre la direction du Conservatoire. Mais voilà que jeudi en fin d'après-midi, la direction et les représentants des étudiants en sont venus à une réelle et authentique entente. Alleluia!

Alors qu'à Québec, Line Beauchamp continuait à faire sa maîtresse d'école bornée et à compromettre les négociations avec les associations étudiantes, les gens du Conservatoire, eux, donnaient l'exemple et montraient comment, même face à une impasse, il est parfois possible de trouver des solutions.

Jeudi en fin d'après-midi, il n'y avait pas que la direction qui était heureuse du dénouement. Les porte-parole des étudiants l'étaient tout autant. Au téléphone, ils m'ont assuré que les choses avaient débloqué pour vrai. Lundi, un comité de travail réunissant aussi bien des membres de la direction et du conseil d'administration que des étudiants va être créé pour réfléchir à l'accessibilité de l'enseignement et à des solutions de rechange à la hausse des droits de scolarité. Mieux encore, un protocole de retour en classe qualifié de plus équitable par l'association étudiante a été ébauché et accepté.

Cela ne changera probablement rien au déficit accumulé de 5,7 millions du Conservatoire et de ses neuf écoles d'art. Mais comme le Conservatoire relève de la ministre Christine St-Pierre et non de Line Beauchamp, peut-être qu'il y aura enfin moyen de moyenner. Le Conservatoire ne reviendra probablement jamais à la gratuité comme ce fut le cas pendant ses 50 premières années, mais peut-être que des solutions plus créatives seront trouvées pour son financement. Les étudiants du Conservatoire ont été réalistes. Ils ont demandé l'impossible et ils l'ont en partie obtenu. C'est peut-être ça un printemps... érable.