Révolutionner la télé en Mongolie, rien de moins: voilà le mandat que s'est vu offrir Michel Rodrigue, il y a plus d'un an.

Ce consultant québécois, fondateur de Distraction, une boîte spécialisée dans la vente de formats télé qui a fermé ses portes en 2009, avait toutes les raisons du monde de décliner l'offre. La Mongolie est au bout du monde et, hormis Pékin ou Moscou, à 24 heures d'avion de la plupart des villes civilisées. En plus, Rodrigue ignorait à quoi la télé mongole ressemblait, quel était l'état de ses cotes d'écoute et même s'il existait un audimètre pour les mesurer. Vérification faite, il n'en existe pas.

Il reste qu'une telle aventure dans un pays en pleine expansion, avec des gens sérieux, assoiffés de modernité et intéressés par le savoir-faire québécois, était impossible à refuser. Ainsi est né le projet de Mongol TV, une télé faite sur mesure au Québec pour la Mongolie.

Au menu de cette nouvelle station, des bulletins de nouvelles objectifs, non partisans et libres de propagande, une émission du matin de trois heures qui lancera le bal et se déplacera aux quatre coins de la Mongolie pour montrer à la population de trois millions d'habitants dont la moitié vit dans la capitale, Oulan-Bator, à quoi ressemble le reste du pays. Pour ce faire, Mongol TV se dotera de deux nouveaux studios assemblés à Montréal et livrés clés en main par Solotech, d'une unité mobile hybride conçue pour les captations en direct et fabriquée à Saint-Hubert par Zed Axiz, et d'une nouvelle identité visuelle imaginée par l'équipe des productions Baroque, fondée par Marc Grenier, le producteur des Lavigueur et de François en série.

Cette incroyable aventure Mongolie-Québec a commencé à Berlin, il y a un peu plus d'un an, dans un cours de maître pour gestionnaires en télé. Parmi les élèves venus du monde entier, il y avait une jeune Mongole de 28 ans, Nomin Chinbat, fille d'un des hommes les plus riches de Mongolie, qui a fait fortune dans l'agriculture et les mines d'or. Depuis peu aux commandes d'une chaîne de télé achetée par son père, Nomin Chinbat cherchait un directeur général occidental prêt à déménager en Mongolie pour révolutionner l'industrie télévisuelle du pays.

Michel Rodrigue lui a proposé une formule plus souple et moins chère: engager une équipe de pigistes qui préparerait le terrain et mettrait en place une infrastructure, tout en formant une relève technique sur place.

Depuis Shanghai, où elle était en transit après un séjour au Québec, Nomin Chinbat m'a décrit la semaine dernière dans un anglais impeccable, appris dans les collèges britanniques, comment elle voit la télé mongole actuelle.

Bousculer les habitudes

«C'est une télé terne et pas très intéressante, a-t-elle dit sans ambages. En matière de contenu, c'est un peu le Far West à cause du piratage. Sur le plan de l'information, tout est à faire. Il y a environ une quinzaine de chaînes qui appartiennent à des hommes politiques qui s'en servent pour faire de la propagande ou pour faire de l'argent, en vendant du temps d'antenne à l'intérieur même du bulletin de nouvelles à ceux qui veulent qu'on parle de leur entreprise ou de leur événement. Notre but, c'est de complètement transformer les moeurs télévisuelles. Nous voulons faire de vraies nouvelles. Nous voulons aussi une télé proche des gens, qui soit à la fois intéressante et divertissante. Pour vous, ça peut paraître banal, mais pour nous, c'est une révolution.»

Dans un café du Vieux-Montréal, le producteur Marc Grenier, qui signe l'habillage visuel de Mongol TV, raconte qu'Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, ne faisait pas partie des villes qu'il rêvait de voir avant de mourir. «J'avais tort, car c'est une ville fascinante, en pleine expansion, avec une culture d'une grande richesse. Quant au pays lui-même, où nous sommes partis en expédition à la recherche d'images dans les montagnes et dans le désert, les paysages y sont à couper le souffle.»

Pendant le tournage, ce qui a le plus frappé le producteur et son équipe, ce n'étaient pas tant les nomades, qui comptent pour 30% de la population et vivent dans des yourtes qu'ils déménagent au gré des saisons. C'était plutôt que dans chaque yourte visitée, il y avait un téléviseur allumé en permanence. «Ce n'est pas parce qu'ils sont nomades qu'ils ne sont pas à la fine pointe de la technologie. Les nomades ont tous des cellulaires et dans leurs yourtes, il y a des écrans plats et des ordinateurs», raconte Michel Rodrigue, qui retournera bientôt en Mongolie pour la suite des opérations. Il sera accompagné pour l'occasion de Marc Grenier et de Pierre Gagnon, un réalisateur qui a signé pendant 10 ans La Fureur, mais aussi les séries dramatiques de Janette Bertrand et plusieurs saisons de Virginie. Le réalisateur s'occupera de la première captation en direct du Naadam, la fête nationale mongole, un événement à grand déploiement où pendant trois jours, en juillet, combats de lutte, concours de tir à l'arc et course de chevaux dans le désert se succèdent à un rythme frénétique. Le père de Nomin Chinbat tenait à cette captation en direct, qui n'avait jamais été faite en Mongolie. Le hic, c'est qu'il n'avait pas l'arsenal technique ni l'unité mobile pour la réaliser. Qu'à cela ne tienne, Michel Rodrigue l'a mis en lien avec Anatol Treba et Alain Bourassa de Zed Axiz, qui ont mis au point une unité mobile hybride, voire un studio portatif qui a la forme et l'allure d'un conteneur et qu'il suffit de déposer sur une remorque pour le déplacer.

Plus léger, plus pratique et beaucoup moins cher qu'un mobile sur roues dont le prix peut atteindre 25 millions de dollars, le Mobile m3 a été assemblé dans le Studio Mel's, à Saint-Hubert. Selon Anatol Treba, il s'agit d'un hybride parfait pour les pays émergents qui veulent s'équiper pour des captations en direct, mais qui n'ont pas les moyens de se payer de gros camions. «De toute façon, ajoute Treba, dans des conditions climatiques extrêmes, les camions tombent en panne alors qu'avec notre système, il suffit de changer la remorque si elle tombe en panne et le tour est joué.»

Le Mobile m3 a été chargé sur un cargo au port de Montréal la semaine dernière et devrait arriver à Oulan-Bator à la mi-juin. Idem pour tout l'équipement assemblé par Solotech pour l'aménagement des deux nouveaux studios de Mongol TV. Pour Solotech, ce chef de file de l'innovation technologique reconnu pour les spectacles de Céline et du Cirque du Soleil, le contrat avec la Mongolie n'est pas une première. L'entreprise a en effet livré un studio clés en main à Cuba et se prépare à livrer 13 stations communautaires au Venezuela pour les élections. «À Cuba et au Venezuela, nos studios vont servir à faire de la propagande politique alors qu'avec Mongol TV, c'est le contraire. Pour nous, la Mongolie, c'est à la fois un beau petit contrat de 4 millions et un beau défi», explique Denis Lefrançois, président de Solotech. Et Michel Rodrigue de conclure: «En réalité, ce qu'on exporte en Mongolie, c'est bien plus que des équipements et des installations. C'est l'expertise québécoise.»

Dans un peu moins de six mois, avec l'aide d'une poignée de Québécois qui n'ont pas peur de faire 22 heures d'avion, Mongol TV devrait voir le jour et sonner le début de la révolution. Si tout se passe comme prévu, les Mongols vont non seulement découvrir une nouvelle chaîne, mais ils changeront à jamais leur façon de regarder la télé.