Quand je pense qu'un producteur considéré par plusieurs comme une nuisance publique a pu prendre la parole au gala des Gémeaux, et cela en dépit du fait qu'il n'avait rien à voir avec le succès d'une émission qui venait de gagner, je trouve cela injuste et indécent.

Injuste que ce type, dont je tairai le nom, ait pris au moins cinq minutes du temps d'antenne pour débiter des insignifiances alors que Victor-Lévy Beaulieu, le Grand prix de l'Académie du cinéma et de la télévision 2011, a été condamné à aller se faire voir et entendre au gala hors des ondes. Cette décision de la part de l'Académie, cautionnée par la Société Radio-Canada, ainsi que l'hommage vidéo bricolé à la va-vite et sans égard pour la parole d'un de nos plus grands auteurs, étaient franchement navrants. Tout comme l'était la manoeuvre désespérée de l'Académie qui a finalement invité VLB à prendre la parole au gala officiel, mais à la dernière minute et moins pour l'entendre que pour sauver les meubles et étouffer la controverse.

Manque de chance, il était trop tard. Le mal avait été fait et l'affront coulé dans le béton.

Je comprends parfaitement Victor-Lévy Beaulieu d'avoir refusé cette invitation de dernière minute et d'avoir résisté au compromis qu'on lui proposait. Là où je le comprends moins, c'est quand il a décidé de se lancer dans une charge à fond de train contre la télévision.

La veille des Gémeaux, Le Devoir a publié en effet une lettre ouverte où VLB dénonçait la violence, la vulgarité, la perte de qualité, de sens et d'identité de la télévision québécoise. La lettre était coiffée du titre accrocheur de «J'aime moins la télévision qu'avant», ce qui suppose en partant que VLB a déjà aimé d'amour la télévision. Permettez-moi d'en douter.

Il suffit à ce sujet de relire les chroniques que VLB a signées dans Le Devoir au cours des années 80 et qui ont fait l'objet d'un recueil publié en 1986 chez Stanké, sous le titre Chroniques polissonnes d'un téléphage enragé, pour constater que VLB a passé plus de temps à honnir la télévision qu'à l'aimer et qu'il a noirci plus de papier à la descendre qu'à la porter aux nues. Mieux encore: ce qu'il dénonçait il y a 25 ans ressemble étrangement à ce qu'il dénonce aujourd'hui, l'humour en moins.

Car il y avait de l'humour dans les chroniques de VLB: de l'humour vache, irrévérencieux qui «fessait dans le dash» mais qui faisait hurler de rire ses lecteurs. Sous sa plume acide et iconoclaste, toutes les émissions de l'heure étaient crucifiées sur la place publique. De Passe-Partout par exemple, il écrivait: «Il serait peut-être temps qu'on se mette à regarder cette émission pour ce qu'elle est: une même pas subtile tentative de récupération de l'enfance par l'État dans tout ce qu'il a de précocement sénile. Tant de niaiseries, c'est bien assez pour vomir sur tous ces autres contes, que d'une voix empesée par le didactisme à gogo, raconte la tante, perruquée pareille à une moppe.»

Au sujet du téléroman La bonne aventure de Lise Payette, il n'était guère plus tendre: «Il s'agit, écrit-il, d'un téléroman qui raconte l'histoire de quatre femmes conçues comme se conçoivent quatre dossiers ministériels. Elles ont, grâce à madame Payette, le gros bout du bâton et elles en profitent.»

Lorsque Michel Jasmin passe à Télé-Québec et lance son Variétés Michel Jasmin, VLB se déchaîne: «Tout ça pour un minable 90 minutes sorti tout droit de la garde-robe fripée de Michelle Tisseyre, c'est-à-dire du bien mauvais music-hall, guindé et prétentieux, sans imagination; Michel Jasmin arc-bouté à son petit podium, n'arrêtant pas de nous dire jusqu'à quel point il aime tout le monde, jusqu'à quel point tout le monde l'aime, ce dont comme téléphage, je n'ai fichtrement rien à foutre. Et tous ces presque morts ressuscités pour faire quoi? De vieux numéros aussi frelatés que les images débiles des cameramans»...

VLB plaidera que c'est parce qu'il aimait d'amour la télé qu'il la châtiait aussi bien et que l'enragement qu'il lui témoignait était le revers de la passion qu'il lui portait. Peut-être, mais pourquoi ai-je le sentiment, en lisant «J'aime moins la télévision qu'avant», que la passion de VLB s'est émoussée à la faveur de l'amertume et du ressentiment du vieux mononcle qui s'ennuie du bon vieux temps, et dont la devise est «après moi, le déluge» ?

En février 2005, après la fin de sa dernière série, Le bleu du ciel, VLB avait fait des adieux à la télé dans une lettre ouverte très percutante publiée dans La Presse. Il s'en prenait fort justement aux dérives de la télé publique et à son obsession de la cote d'écoute, tout en se gardant de tomber dans le piège de la nostalgie ou du narcissisme à rebours.

Six ans plus tard, le problème de VLB, ce n'est pas qu'il aime moins la télé qu'avant. C'est qu'il ne la regarde plus. Ou du moins plus avec l'assiduité et avec l'acuité d'avant. Ça se sent dans son texte et c'est dommage, car rien n'était plus réjouissant que de le lire quand il possédait à fond son sujet. Mais qui sait, la mauvaise aventure de VLB aux Gémeaux lui aura peut-être donné le goût, sinon de sauver notre télévision, à tout le moins de réveiller le téléphage en lui. C'est le plaisir coupable que je nous souhaite.