Je suis sans doute mal faite. Mais s'il y a une chose dans la vie dont je me méfie, ce sont les compliments. Autant les compliments distribués par des gens que me veulent du bien que ceux en vente dans les frigos et les comptoirs de viande de chez IGA sous la marque... Nos compliments. J'ai toujours trouvé que les compliments dégageaient un je ne sais quoi de suspect. On ne sait jamais si c'est du lard ou du cochon, si c'est mérité ou non, si c'est sincère ou si c'est intéressé.

Mettez cela sur le compte du manque d'estime, de la paranoïa ou du désabusement, mais il me semble que dans nos sociétés où tout est comptabilisé au pied carré et arrangé avec le gars du marketing et de la publicité, un compliment est moins un cadeau qu'une monnaie d'échange, moins la manifestation gratuite d'une appréciation franche qu'une façon cute et paresseuse de faire avancer ses intérêts ou tout simplement de se faire bien voir auprès de tout le monde et de n'importe qui.

Bref, déjà pas chaude à l'idée de recevoir des compliments, je grelotte carrément de froid à l'idée qu'un compliment puisse devenir un produit comme un autre que l'on vend, que l'on achète et que l'on fait livrer chez soi ou chez le voisin, comme une vulgaire marchandise. Pourtant, certains diront que si Miriam Glassman a créé le service complimentemoi.com et passe ses journées au téléphone à semer à tout vent des compliments à 5$ l'unité, c'est parce qu'elle répond à un besoin. Je veux bien, mais de quel besoin on parle au juste? Celui de faire faire par d'autres ce qu'on est incapable de faire soi-même? Si c'est le cas, alors c'est un concept effrayant. On paie déjà des gens pour faire le ménage ou la cuisine, pour promener notre chien, pour conduire et pour coudre pour nous. Est-ce à dire que bientôt on les paiera pour respirer et pour vivre à notre place? J'espère que non.

Acheter un compliment, en partant, c'est démissionner de soi-même. C'est concéder son impuissance, son ignorance, son incompétence en matière de relations humaines. C'est donner en sous-traitance son humanité. Le vendre, c'est une tout autre paire de manches. J'imagine qu'on doit trouver une certaine gratification à appeler des gens et à leur dire qu'ils sont beaux, fins, gentils, géniaux, admirables, extraordinaires et exceptionnels. Enfin, dans un premier temps, ça doit être plaisant, grisant même. On entend les gens rougir et glousser à l'autre bout du fil. On a le sentiment enivrant d'avoir fait du bien et semé de la joie et de la bonne humeur. Et puis on passe à un autre appel, et puis à un autre appel. Je plains le 100e client de la journée à qui l'on répète qu'il est beau, fin, génial et extraordinaire, sans en croire un traître mot. Au début de la journée, on peut feindre l'extase et l'enthousiasme. À la fin, j'en doute. C'est pourquoi, si j'avais le choix entre me faire lancer des fleurs au téléphone ou en recevoir un bouquet, je n'hésiterais pas. Les vraies fleurs fanent moins vite et, vu leur prix, on sait au moins que, pour celui ou celle qui nous les offre, on vaut plus qu'un coup de fil de 5$.