Je suis comme Amanda Sthers, auteure de Keith me, ce délicieux roman en forme de fantasme. Comme elle, je suis une fan finie de Keith Richards. Je l'ai écrit dans ce journal. Je le répète avec la parution de Life, titre à la fois français et anglais de l'autobio de ce sacré numéro, guitariste inspiré et pilier des Rolling Stones. J'ai toujours aimé le musicien et compositeur, mais c'est le mythe qui m'éblouissait. Celui du prince des ténèbres, roi de la défonce, champion de l'excès qui, après avoir été accro à l'héroïne pendant des décennies, bu des océans de Jack Daniels, sniffé des autoroutes de cocaïne, fumé des tonnes de mari et de tabac, est encore debout et vaillant malgré deux poumons perforés et une commotion cérébrale. Ce pirate de la nuit, indestructible et résilient, me fascinait plus que tout. Son autobiographie révèle un tout autre homme. Moins mythique, plus musicien et parfaitement adorable.

Le bouquin, écrit en collaboration avec le journaliste James Fox, fait 643 pages. C'est un exploit en soi compte tenu du fait que Keith a passé plus de la moitié de sa vie complètement gelé. En principe, il ne devrait pas se rappeler de grand-chose. Pourtant, il se souvient de presque tout. Et dans le détail!

Les premiers échos du livre dans les médias étaient sulfureux. Ils étaient aussi faux et inutilement sensationnalistes.

La petite taille du pénis de Jagger évoquée par le guitariste est en réalité une boutade, citée hors contexte et montée en épingle pour vendre de la copie.

La haine viscérale que Keith porte soi-disant à Mick Jagger n'a jamais existé. Oui, bien sûr, les Glimmer Twins, comme ils se nomment avec ironie, ont eu leurs différends. Entre 1982 et 1989, pendant que Jagger s'éclatait dans le jet-set et que Keith s'enfonçait dans l'héroïne, ils ne se parlaient pas et se détestaient cordialement. C'était normal et prévisible. On ne fréquente pas quelqu'un pendant 50ans sans avoir parfois envie de le tuer. Mais 50 ans plus tard, Richards affirme qu'il a le plus profond respect et une immense affection pour son compagnon d'armes. Même si ce dernier continue de le faire chier, il jure que le premier qui touche à un poil de Jagger, il lui arrache la tête. Puis, magnanime, il ajoute: «Je sais que Mick ferait la même chose pour moi.»

Conscient qu'il est bien malgré lui un grand producteur de légendes urbaines, Keith revient sur les plus folles qui ont couru à son sujet pour mieux les démythifier. L'histoire selon laquelle il aurait changé de sang dans une clinique en Suisse était une blague lancée aux journalistes qui le pressaient de questions avant son départ pour une désintox. Quant à l'épisode où il aurait sniffé les cendres de son défunt père, c'est en partie vrai. Pendant six ans, Richards a gardé les cendres de son père dans une petite boîte avant de se décider à les répandre autour du chêne dans son jardin. «Quand j'ai ouvert le couvercle, écrit-il, une fine couche de cendres est tombée sur la table. Je ne pouvais pas enlever mon père d'un revers du coude, tout de même, donc j'ai passé mon doigt dessus, je l'ai porté à mes narines et je l'ai aspiré. Poussière retournant à la poussière, père retournant à son fils...»

Ce geste touchant n'a rien de scabreux. Il donne la mesure d'un homme honnête et authentique enfermé dans la cage étouffante d'un succès dont il aurait pu se passer si ce n'était de la musique. Car avant toute chose, le prince des ténèbres est un musicien pur et dur, nourri au petit lait du blues du Mississippi et qui, toute sa vie, est demeuré fidèle à un certain idéal musical qui a très certainement assuré la pérennité des Stones.

Keith Richards n'est pas un ange. Il aimait les armes à feu. Il en a joué sans discernement. Il a piqué des crises, fait peur à des gens. Il a perdu des amours, des amis chers et un fils. Il ne se donne jamais le beau rôle. Il rétablit les faits. Pas pour l'argent ni pour la gloire. Pour lui-même. De sa part, on n'en attendait pas moins. Un livre pour tous ceux qui aiment... la vie.