Au lancement de la programmation de la télé de Radio-Canada, cette semaine, Véronique Cloutier répétait à qui voulait l'entendre que sa nouvelle émission Les enfants de la télé n'était pas sur les enfants ni pour eux non plus. «C'est une émission pour les nostalgiques de la télé», a-t-elle lancé au bénéfice de tous ceux qui, trop branchés sur les chaînes américaines ou trop centrés sur le nombril des émissions québécoises, n'ont jamais entendu parler de cette émission phare française animée par Arthur depuis 15 ans.

Qu'à cela ne tienne. Ce qu'il faut retenir des propos de Véro se résume à un mot: nostalgie. Or, la nostalgie est lourde de sens. Il y a dans la nostalgie de la mélancolie pour quelque chose qui n'est plus, qui a disparu de la carte, qui a été écarté, perdu, oublié, quelque chose qui est mort. En lançant une émission pour les nostalgiques, Véro est-elle en train de nous annoncer la mort imminente de la télé? Est-ce une invitation à une veillée funèbre? J'ose croire que non. En même temps, les choses vont tellement vite.

L'expression «enfants de la télé», qui autrefois se réclamait d'une certaine modernité, a maintenant les cheveux gris. Pour ceux qui sont nés avec l'internet, les enfants de la télé sont des dinosaures...

Je me souviens très clairement du lancement de la saison 2009 de Radio-Canada il y a exactement un an. Dans le brouhaha, la voix d'une actrice de la série Aveux s'est élevée pour déclarer non sans un brin de culpabilité que si on ratait un épisode de la série, on pouvait le voir en rattrapage sur l'internet. Mais c'est mieux de la regarder à la télé, avait-elle ajouté par mesure de prudence. Sur le coup, je n'ai pas compris de quoi elle parlait. Deux mois plus tard, pourtant, je me précipitais tous les mercredis matin sur mon ordinateur pour rattraper l'épisode d'Aveux, raté la veille. Exception faite des deux ou trois premiers épisodes, j'ai regardé Aveux presque au complet sur mon ordinateur et ce, avant même l'existence de Tou.tv, le site de rediffusion de Radio-Canada qui propose une image en haute définition plus belle que celle de ma télé.

Les choses vont vite. Plus vite que la télé. Le printemps dernier, lorsque l'iPad d'Apple a semé l'émoi dans la salle de rédaction de La Presse, je n'y ai même pas jeté un coup d'oeil. Je n'en voyais pas l'intérêt. Pourtant, il y a un mois, j'ai craqué. Aujourd'hui sur mon iPad, je télécharge de la musique, des films, des livres, des magazines et des émissions de télé. Si je vivais en France, je pourrais même regarder une vingtaine de chaînes de télé en direct grâce à l'application Freebox TV HD.

Partout où je vais maintenant, je traîne avec moi cet écran tactile de la taille d'un cahier Canada à côté duquel ma télé ressemble à une obèse, paralysée et à l'agonie.

Évidemment, l'agonie que j'évoque vise plus le meuble que ce que ce meuble programme et diffuse. Tant que la télévision va continuer de produire du contenu, elle va continuer de rejoindre des téléspectateurs. Ceux-ci ne seront simplement plus écrasés dans leur salon. Ils seront assis au resto, au bureau, dans un bus, un avion ou un train et pourront même éventuellement, si Radio-Canada offre l'application, regarder Les enfants de la télé sur leur iPhone ou leur iPad. Les choses vont vite pour les enfants de la télé comme pour ceux de l'internet. Trop vite pour se laisser gagner par la nostalgie.