Dimanche dernier, des centaines de fans et de figurants habillés rétro ont envahi Times Square à New York avec leurs martinis et leurs cocktails trop sucrés. L'occasion? La présentation sur écran géant du premier épisode de Mad Men 3, une série campée dans une agence de pub fictive de l'avenue Madison au début des années 60.

Les médias américains sont fous de cette série présentée le dimanche soir sur la chaîne câblée AMC et dans laquelle on fume, boit et baise sans vergogne. Mais jusqu'à maintenant, leur enthousiasme n'a pas réussi à créer de phénomène d'entraînement chez le public américain. À peine deux millions - des pinottes - de téléspectateurs ont suivi les deux premières saisons et cela en dépit des nombreux prix que la série a remportés.

 

Mais tout risque bientôt de changer grâce à une date: 1963, l'année où se déroule la troisième saison, année de tous les dangers, marquée par la naissance de la Beatlemania en Angleterre, par le premier attentat du FLQ chez nous et, chez nos voisins, par la mort d'un jeune président, tombé sous les balles à Dallas. Comme l'ont souligné plusieurs critiques, le plaisir de regarder cette série vient d'abord du fait que nous connaissons les cataclysmes qui attendent les personnages alors que ceux-ci n'en ont pas la moindre idée.

En même temps, et c'est là où ils nous rejoignent et deviennent nos contemporains, ces personnages sentent confusément, comme nous le sentons aujourd'hui, qu'ils sont à l'orée d'un grand dérangement social, politique, culturel et économique. Ils ne savent pas encore exactement quelle forme cela va prendre, mais la voix intérieure d'une sourde angoisse leur chuchote à l'oreille que leurs vieilles structures sont en train de s'effriter, que leurs murs sont lézardés et que les édifices physiques et moraux qu'ils ont construits vont s'effondrer.

L'affiche de Mad Men à cet égard est éloquente. Tiré à quatre épingles et assis dans un fauteuil les jambes croisées, Don Draper, le personnage principal interprété par John Hamm, fume calmement une Lucky Strike alors que l'eau glauque qui a envahi son bureau lui arrive pratiquement à la taille. «The world's gone mad» - le monde a perdu la boule -, annonce l'affiche. Comment ne pas compatir? Comment ne pas reconnaître que ce monde de fous qui fuit de partout est aussi le nôtre?

Dès le premier épisode, le ton est donné par deux répliques qui sonnent comme des slogans publicitaires, mais qui sont en réalité des marqueurs fondateurs.

La première met en scène le propriétaire des imperméables London Fog. Inquiet à l'idée que tous les gens qui avaient besoin d'un imperméable en ont maintenant un et n'en achèteront plus, il s'écrie: «Une entreprise comme la nôtre doit absolument grossir. C'est ça, le capitalisme!» Quand on connaît les excès et les crimes commis au nom de cette doctrine, on a envie de téléporter le vieux proprio de London Fog et de l'envoyer visiter Bernard Madoff en prison pour le convaincre que «bigger is not better».

L'autre réplique est d'ordre privé et vise l'homosexualité du directeur artistique de l'agence. Après avoir surpris son collègue avec le chasseur d'un hôtel, Don Draper se sert du prétexte d'un nouveau slogan publicitaire de son cru pour lui livrer ce conseil: «Limit your exposure». Autrement dit: modère tes transports et surtout, ne sors pas du placard. En 1963, on avait peut-être le droit de fumer, de boire et de baiser sans vergogne, mais à une seule condition: celle d'être un mâle blanc, macho et hétérosexuel. Même si Mad Men n'est pas diffusé au Canada, le lendemain de sa diffusion, on peut télécharger l'épisode de la veille sur iTunes pour 2,49$. Dimanche soir, les cotes d'écoute de la série ont fait un bond à 2,8 millions, signe que les temps changent et que les Américains sont peut-être enfin prêts à confronter les démons du passé.