La première fois que j'ai entendu Denise Bombardier parler de son livre sur Céline Dion, c'est à la radio chez Paul Arcand. Madame B s'extasiait du fait que Céline avait une voix extraordinaire et qu'elle était connue à travers le monde entier. Sans blague?

À l'époque, le camarade Lagacé avait pondu une chronique hilarante sur notre Denise nationale qui, en tournée mondiale avec Céline, s'était muée en groupie et en présidente de son fan-club. On avait beau rire, la conversion de Madame B à l'idolâtrie n'augurait rien de bon pour le bouquin qu'elle s'apprêtait à écrire.

 

Avec le recul, je crois deviner que Madame B faisait encore à ce moment-là le plein d'euphorie et d'enthousiasme en prévision du jour où elle aurait la douloureuse tâche de se taire pour écrire. C'est du moins l'impression que j'ai eu en lisant L'énigmatique Céline Dion, lancé cette semaine sans tambour ni trompette, ni cocktail ou 5 à 7; une sortie quasi confidentielle pour un bouquin qui s'avère beaucoup plus intéressant et pertinent que prévu.

Premier constat: si Madame B peut parfois dire n'importe quoi, elle se garde bien d'écrire n'importe quoi. Tout au long de son récit, j'ai cherché la grosse connerie, écrite au détour d'une phrase par ignorance ou manque de familiarité avec le monde de la musique populaire. Je ne l'ai pas trouvée. Non seulement Bombardier ne fait pas d'erreur factuelle, ne mélange pas les torchons et les serviettes, ne professe aucune énormité, mais le regard qu'elle pose sur le monde de Céline est toujours juste, lucide et animé par une subjectivité honnête et par le besoin d'aller plus loin que les apparences pour leur donner du contexte et de la profondeur.

Mieux encore: en fermant son micro pour écrire, Bombardier a chassé la fan et la groupie en elle, ne laissant jamais la complaisance ou l'obséquiosité contaminer sa réflexion.

Mais ce qui est encore plus surprenant de la part d'une femme qui a une haute estime d'elle-même et qui ne se gêne pas pour nous le rappeler, c'est qu'écrire sur celle qu'elle considère à juste titre comme la seule artiste dans l'histoire du Québec à avoir conquis la planète à titre personnel l'a rendue humble, empathique et l'a débarrassée de son vilain penchant pour la vantardise.

Tant et si bien qu'en s'oubliant au profit de Céline, Bombardier réussit à faire émerger un autre visage que le visage cliché de la chanteuse. Bien sûr, on retrouve la diva humble, attachante et accessible que l'on connaît depuis toujours, mais ce qu'on découvre, c'est la carapace translucide, sorte de vitre pare-balles, dans laquelle elle est enfermée et dont l'accès est réservé à une poignée d'intimes. Même Mégo, son chef d'orchestre depuis plus de vingt ans, avoue qu'il n'a pas accès à la chanteuse en dehors du boulot.

Accessible mais inatteignable, sûre d'elle mais rongée par l'angoisse, incapable de dissocier la chanteuse de la femme, vivant une relation anormalement fusionnelle avec son fils comme avec sa mère, rêvant à voix haute d'une vie ordinaire qu'elle n'a jamais connue et dont elle ne saurait que faire, étalant sa vie privée et la théâtralisant à outrance pour calmer son angoisse de disparaître, la Céline de Denise Bombardier est une femme complexe, cadenassée et plus tourmentée que son image lisse et rassurante ne le laisse paraître.

En ce sens, le livre de Bombardier va plus loin que la plupart des autres ouvrages, dans sa déconstruction de Céline, de sa vie, de sa cour et de son mythe. Et bien que Bombardier se défende d'avoir psychanalysé son sujet, impossible à la lecture du livre de ne pas constater qu'elle a mis son intuition, sa culture et sa sensibilité au service d'une forme de psychanalyse.

Un seul bémol à ce livre: le souffle de Madame B l'empêche de voir vers la fin qu'elle commence à se répéter et à faire du People Plus plutôt que de la sociologie. Mais c'est un détail qui ne saurait en rien gâcher le plaisir de lire ce livre rafraîchissant.

COURRIEL Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca