Petite question: lorsque vous pensez aux prix Nobel, à quoi pensez-vous? À la neige, au hareng fumé, aux blondes naturelles, aux meubles en teck et à la splendeur de la culture suédoise? Permettez-moi d'en douter. Les prix Nobel existent en soi et pour ce qu'ils sont: de très prestigieux prix remis à des gens exceptionnels qui ont rendu service à l'humanité et qui sont récompensés grâce à l'immense fortune léguée à cette fin par Alfred Nobel, l'inventeur de la dynamite.

La petite histoire veut d'ailleurs qu'ayant lu une rubrique nécrologique annonçant sa mort alors qu'il était bien vivant et surtout le présentant comme un marchand de mort, Alfred Nobel invita ses héritiers à créer un prix qui ferait honneur non pas à la Suède où il n'a pratiquement pas vécu, mais à sa propre image!

 

Ce long préambule pour expliquer que croire que la tenue d'un prix dans un pays augmente le prestige et le rayonnement dudit pays est un peu absurde. C'est pourtant l'idée que cherche encore à nous vendre l'homme d'affaires torontois David Pecaut, l'instigateur des Prix du Canada en arts. Même pris en flagrant délit de fabulation cette semaine, lorsqu'on a découvert que la liste des partenaires qu'il a soumise au gouvernement en vue de l'octroi d'une subvention de 25 millions était bidon, Pecaut a continué de marteler que ces prix étaient une idée formidable qui allait faire des miracles pour l'image de marque du Canada à l'étranger.

«Pour un seul investissement de 25 millions, le gouvernement du Canada va pouvoir développer une propriété culturelle canadienne unique qui va captiver le monde entier, produire des retombées économiques importantes et placer la marque canadienne au centre mondial de l'innovation et de l'excellence», annonçait le document jovialiste présenté au gouvernement.

Je ne doute pas du désir très légitime de M. Pecaut d'offrir à Toronto un magot de 25 millions qui, déposé dans un fonds, va faire de jolis intérêts au fil des ans. Mais qu'il soit honnête et qu'il dise que c'est cela son intention, plutôt que de nous soûler avec des formules creuses qui promettent une image glorieuse et illusoire du Canada.

Illusoire parce que jusqu'à preuve du contraire, les prix profitent à ceux qui les gagnent, pas à ceux qui les attribuent. Tant mieux si chaque année le roi de Suède se fait prendre en photo avec les lauréats des prix Nobel. Mais entre vous et moi, le roi de Suède pourrait être commis chez Bonisoir que ça ne changerait rien à la photo qui fait le tour du monde et célèbre Monsieur Machin, éminent chimiste, et non pas l'extraordinaire pays qui vient de lui attribuer un prix. D'ailleurs, il suffirait d'un sondage éclair pour prouver que la marque de la Suède dans le monde passe bien plus par les designers extraordinaires d'IKEA que par les bonzes barbus du Nobel.

Mais ne soyons pas mesquins. Ces prix en arts ne sont pas une mauvaise idée en soi. Mais avant de leur accorder la fabuleuse somme de 25 millions pour qu'un danseur suédois ou un violoniste coréen puissent retourner chacun chez lui avec un chèque de 100 000$ payé par les contribuables canadiens, est-ce qu'on pourrait s'occuper de notre monde à nous? Est-ce qu'on pourrait faire mentir les chiffres d'une récente étude de Hills Strategies qui révèle que 62% des artistes canadiens gagnent moins de 20 000$ par an et vivent sous le seuil de la pauvreté? Est-ce qu'on pourrait établir de nouveaux programmes qui éviteraient la faillite imminente de plusieurs troupes de danse et de théâtre et assurer le rayonnement de nos artistes à l'étranger avant de vouloir aider les artistes étrangers à rayonner chez nous?

Et enfin, est-ce qu'on pourrait se rentrer dans la tête que si le Canada veut incarner l'excellence en arts, la meilleure façon d'y parvenir, c'est à travers l'excellence de ses artistes. Pas en s'achetant une crédibilité internationale et en payant les autres pour qu'ils deviennent nos amis.