J'ai été soufflée quand j'ai lu, dans Le Monde, la lettre signée par une centaine de personnalités françaises, dont Catherine Deneuve. La lettre a été écrite par Catherine Millet, le marquis de Sade féminin, auteure d'un livre sulfureux sur ses prouesses sexuelles, un déballage de cul à lever le coeur.

Les signataires de la lettre ont condamné sans aucune nuance la déferlante de dénonciations dans la foulée du mouvement #balancetonporc, le #moiaussi français. Elles ont revendiqué le droit d'être importunées, allant jusqu'à excuser, au nom de la misère sexuelle, les hommes qui se frottent contre les femmes dans le métro.

Question : est-ce que Catherine Deneuve a déjà pris le métro dans sa vie?

J'ai rarement lu pareilles sornettes, écrites par des «femmes dinosaures», pour reprendre l'expression de la journaliste Francine Pelletier.

Le collectif féminin a tout mis dans le même panier : le badinage, la drague, les agressions et le droit des hommes d'importuner les femmes, un droit, précisent-elles, «indispensable à la liberté sexuelle». Indispensable. Vraiment?

En quoi est-ce acceptable d'importuner? Et si c'étaient les femmes qui mettaient leur main sur les fesses des hommes et revendiquaient le droit de se frotter contre eux dans le métro au nom de la sacro-sainte liberté sexuelle? Ridicule, j'en conviens. C'est plus évident quand on inverse les rôles, non?

«La drague insistante et maladroite n'est pas un délit», écrivent-elles. C'est vrai, mais j'aurais aimé qu'elles définissent le mot «insistante». L'homme peut insister combien de fois avant de verser dans le harcèlement?

Le collectif crie au puritanisme parce que les hommes doivent éviter les blagues douteuses et les mains baladeuses. Un puritanisme, disent-elles, qui transforme les femmes en «éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l'emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie».

Phallocrates, démons, sorcellerie. N'importe quoi. Il n'a jamais été question de dire non à la drague et de courir au premier poste de police venu dès qu'un homme nous regarde avec concupiscence.

Je fais partie de cette génération qui a connu la drague «insistante» dont s'ennuient tant les Deneuve et compagnie, cette époque où des hommes se frottaient contre des femmes dans le métro en toute impunité, abusaient de leur pouvoir au travail sans se poser de questions ou multipliaient les blagues cochonnes que la gent féminine devait trouver drôles au risque de passer pour des mal baisées, insulte suprême.

Comment peut-on être nostalgique d'une époque aussi rétrograde?

À 20 ans et des poussières, j'aurais aimé avoir le courage d'une Léa Clermont-Dion et d'une Aurélie Lanctôt qui s'insurgent contre les patrons à la main leste qui ne comprennent rien à la fameuse ligne entre la blague douteuse, le geste inconvenant, l'inconduite sexuelle et l'agression. Ces deux jeunes femmes ont lancé un mouvement, #etmaintenant, pour que le #moiaussi ne tombe pas dans l'oubli.

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Le collectif, dont fait partie Catherine Deneuve, soulève des questions importantes, mais il verse dans une telle démagogie qu'il perd toute pertinence. Il dénonce le dérapage des réseaux sociaux qui se transforment en tribunal populaire, cette «fièvre à envoyer les porcs à l'abattoir», qui sert «les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires...».

Dans un fourre-tout indigeste, elles parlent de «vague purificatoire qui ne connaît aucune limite», de climat de société totalitaire, de procureurs autoproclamés, de féminisme qui «prend le visage d'une haine des hommes et de la sexualité», de «justice expéditive» qui oblige des hommes à démissionner parce qu'ils ont «touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses "intimes" lors d'un dîner professionnel ou envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme».

Ce brûlot bâclé qui sent le siècle passé, écrit par des bourgeoises qui ne prennent probablement jamais le métro, a provoqué une polémique monstre qui a débordé les frontières de la France. Le Québec n'y a pas échappé.

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#moiaussi a été précédé par #agressionsnondénoncées, lancé en 2014 par l'ex-journaliste montréalaise Sue Montgomery. Créé en moins d'une minute, son mot-clic a été envoyé sur Twitter comme une bouteille à la mer. Le résultat a été foudroyant : 10 millions de clics en 48 heures provenant des quatre coins du monde, incluant le Pakistan, l'Inde et le Kenya.

C'était une déferlante, un tremblement de terre d'une force insoupçonnée qui a pris tout le monde de court. Trois ans plus tard, une nouvelle déferlante, #moiaussi, a encore une fois bouleversé la société.

Ces deux tremblements de terre ont révélé l'ampleur d'un phénomène troublant, soit le nombre incroyablement élevé de femmes victimes d'agressions, de harcèlement ou d'inconduite sexuelle.

Les hommes ne sont pas tous des porcs, bien au contraire. Pour reprendre l'expression de l'écrivaine française Leïla Slimani : «On ne naît pas femme, on le devient; on ne naît pas porc, on le devient.»

La puissance des deux mots-clics a provoqué des dommages collatéraux. Certains hommes ont été injustement condamnés par des réseaux sociaux qui ne se soucient pas de la présomption d'innocence.

Certains ont posé la question avec mille précautions, comme s'ils marchaient dans un champ miné : sommes-nous allés trop loin dans les dénonciations? La question est courageuse et pertinente. Oui, les réseaux sociaux peuvent lyncher des innocents sans autre forme de procès, mais les journalistes, les vrais, ont effectué un minutieux travail d'enquête qui a permis de dénoncer des agresseurs.

Je ne crois pas que le Québec a été trop loin dans la dénonciation et je ne pense pas qu'il y ait eu dérapage. S'il y a dérapage, c'est celui du collectif français qui dénonce une dérive qui n'existe pas, ou si peu.

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En 2014, il y a eu une première vague de dénonciations avec #agressionsnondénoncées. On croyait avoir tout vu. Pourtant, en 2017, une deuxième vague a déferlé et des digues ont sauté.

Rien ne dit qu'il n'y aura pas une troisième vague.