Maxime avait 17 ans la première fois qu'il a couché avec une prostituée, une brune de 30 ans avec de gros seins. Il était puceau.

C'était en 1970, à Paris. Il avait arpenté la célèbre rue Saint-Denis avec ses hôtels de passe et ses prostituées qui attendaient les clients dans l'embrasure de la porte.

Maxime passait et repassait, timide, tourmenté par sa libido, inquiet et excité à l'idée de perdre sa virginité. Il n'arrivait pas à faire son choix. Il avait tourné en rond pendant trois heures avant de jeter son dévolu sur la brune de 30 ans à la poitrine volumineuse et aux « fesses généreuses ».

Il n'osait pas regarder les clients qu'il croisait dans les escaliers. Dans la chambre, un grand lit recouvert d'une cotonnade rouge. Dans un coin, un lavabo.

Il s'était déshabillé avec des gestes maladroits, mais il avait gardé son slip. La prostituée l'avait fait glisser par terre, puis elle avait lavé les parties intimes de Maxime. Il avait voulu l'embrasser. Elle l'avait rabroué : « C'est réservé à mon amoureux. »

Il avait joui rapidement, comme un gamin trop excité.

Maxime a fréquenté des prostituées toute sa vie, une ou deux fois par semaine. À Montréal, Genève et Paris. Il est Français et il a de la famille à Montréal. Il travaille comme chef d'équipe pour un grand magasin à Paris. Il est né en Picardie, mais il a été élevé dans la banlieue parisienne.

C'est lui qui m'a contactée par courriel en novembre 2014. Il réagissait à mon article « Profession : pute de luxe ». Il voulait témoigner. Son message : les clients ne sont ni des salauds ni des pervers.

La semaine dernière, la police de Montréal et la GRC ont convoqué les médias pour parler de leur bilan en matière de lutte contre l'exploitation sexuelle. Au cours des deux dernières semaines, a expliqué le commandant Michel Bourque, la police a arrêté 17 clients et quatre proxénètes à Montréal. Pendant le Grand Prix, réputé pour être l'Eldorado de la prostitution. La plupart des victimes étaient des mineures.

Au cours du point de presse, j'ai pensé à Maxime. Je lui ai écrit un courriel comme on envoie une bouteille à la mer. « Êtes-vous toujours décidé à témoigner ? », lui ai-je demandé. Il m'a répondu quelques heures plus tard.

Oui, il était prêt à me raconter sa longue expérience avec les prostituées, mais il ne voulait pas que son nom de famille soit publié. Il avait peur que ses proches ou son employeur lisent son témoignage sur l'internet.

Il m'a donné le nom de famille de sa mère : Prévost.

***

Au début, Maxime notait tout dans un petit carnet : le nom de la prostituée, l'endroit, la date et le tarif.

« J'ai fait ça pendant trois ans, puis j'ai laissé tomber. »

De 1970 jusqu'au milieu des années 80, Maxime n'a jamais utilisé de condom. L'apparition du sida a tout changé.

L'internet aussi a chamboulé le visage de la prostitution. Les studios ont remplacé les hôtels de passe.

Maxime s'est adapté, la mort dans l'âme. 

« J'aimais l'ambiance des quartiers, les rues, les prostituées qui attendaient les clients, la façon dont elles s'habillaient, tout un décor qui m'attirait. »

- Maxime

Si le décor a changé, la routine est restée la même. « On entre dans la chambre, on paie à l'avance. D'une prostituée à l'autre, c'est toujours la même chose. Certaines font la gueule, elles sont fatiguées, elles ont juste hâte d'en finir. C'est désagréable, je me sens comme un numéro. »

Il jure qu'il n'a jamais couché avec des mineures. « Ses » prostituées ont entre 25 et 60 ans.

« 60 ans ?

- Elles sont très bien ! Elles font ce métier depuis 30 ans. »

Il préfère les prostituées de Paris à celles de Montréal.

« À Montréal, les filles sont moins sympas. Elles sont plus rapides, elles expédient le client. C'est glauque. »

***

L'entrevue a été réalisée au téléphone, lui à Paris, moi à Montréal. Il s'est décrit comme un homme plutôt petit, mince, mais légèrement bedonnant. « Je ne fais pas de sport », a-t-il précisé.

Il vit seul depuis quatre ans, mais il a été en couple à plusieurs reprises. Il a eu deux garçons qui ont, aujourd'hui, 32 et 35 ans.

Maxime a toujours essayé de fuir le « schéma classique de la séduction » qui précède la baise : restaurant, cinéma... « Ça m'ennuie. »

Avec les prostituées, dit-il, il n'y a rien de tout cela. La liberté à l'état pur. « On passe à l'acte sans chichi. »

Une prostituée s'est déjà entichée de lui. Après la baise, ils parlaient longtemps. La discussion banale entre une prostituée et son client - « Tu t'appelles comment ? Tu es marié ? » - a pris un tour plus intime.

« Elle m'a demandé : "On pourrait aller au restaurant ?" Je ne me suis pas présenté. J'ai eu peur, je ne voulais pas m'engager. »

Il ne l'a jamais revue.

Il couchait avec des prostituées même lorsqu'il était en couple.

« Quand on a une maîtresse, on trompe sa femme. Ce n'est pas le cas avec une prostituée, car il n'y a pas de lien amoureux. »

***

Maxime croit que les hommes sont hypocrites. Ils refusent de dire qu'ils vont aux putes.

Les clients, croit-il, « c'est monsieur Tout-le-Monde, le père, le frère, le mari, le voisin »...

Il s'insurge contre les réseaux de prostitution qui exploitent les femmes. Par contre, précise-t-il, « il faut laisser travailler les femmes qui veulent exercer ce métier. Elles remplissent une fonction sociale importante. Elles sont utiles pour la stabilité des couples mariés, les timides, les handicapés et les hommes qui n'ont jamais fait l'amour ».

***

Maxime a 64 ans. Il fréquente les prostituées depuis plus d'un demi-siècle.

« Avec combien de femmes avez-vous couché ? », lui ai-je demandé.

« Oh là là ! Ça prendrait une calculette.

- Allez-vous fréquenter des prostituées toute votre vie ?

- Oui, aussi longtemps que je suis attiré et que je peux. »

DES PAYS ET DES LOIS

• Plusieurs pays punissent les clients : la Suède, la Norvège, l'Islande, le Royaume-Uni, la France (depuis 2016) et le Canada (2014).

• En 1999, la Suède a été la première à interdire l'achat de services sexuels.