Je n'avais jamais entendu parler de Marilou avant que ma fille m'offre son livre de recettes, 3 fois par jour. Quand elle m'a expliqué qui était Marilou, je l'ai écoutée d'une oreille distraite. Les hauts et les bas d'une chanteuse has been de 20 ans recyclée en Ricardo en jupon m'intéressaient peu.

Le premier tome, sorti en 2014, est une brique de 250 pages. Je me suis quasiment fait une tendinite en le feuilletant. J'ai admiré les photos léchées, l'esthétique, le design épuré, puis j'ai essayé les recettes, certaines faciles, d'autres plus sophistiquées.

Un jour, ma fille m'a parlé du phénomène Marilou. Les ventes qui explosent, les magazines publiés quatre fois par année, la gamme de vêtements pour bébés, son blogue, son compte Instagram, sa page Facebook. J'écoutais, impressionnée par le succès de cette maman de 25 ans. L'image de has been s'estompait au profit de celle d'une jeune entrepreneure à la vie aussi léchée et parfaite que son livre.

Je continuais à explorer ses recettes, délaissant Josée di Stasio et Ricardo. J'en réussissais plusieurs, en ratais certaines. J'avais mes coups de coeur que je faisais chaque fois que je recevais.

Je ne suis pas une cuisinière créatrice, j'ai plutôt tendance à suivre une recette. Je ne suis pas, non plus, du genre aventurière. Si je tombe sur un ingrédient inconnu en lisant une recette, je tourne la page et j'en cherche une autre.

Je suis d'abord et avant tout une cuisinière fatiguée. J'ai trop «fait à manger» dans ma vie pour m'exciter à l'idée de passer des heures dans ma cuisine à mitonner des petits plats.

Je suis aussi une cuisinière inégale. Parfois, je réussis au-delà de mes espérances, c'est bon, étonnant, savoureux. Par contre, je peux rater mon coup, trop cuit, trop mou, fade, décevant. La plupart du temps, mon plat ne ressemble pas à la photo du livre. Pour l'esthétique, je suis plutôt du genre Recettes pompettes.

Je ne suis donc ni créatrice ni aventurière, d'où l'importance du livre de recettes pour une cuisinière de mon calibre dénuée d'imagination. Internet existe, bien sûr, mais rien ne remplace le plaisir de feuilleter un livre quand on a faim et qu'on cherche des idées.

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Jeudi matin, j'ai rencontré Marilou et son mari, Alexandre Champagne, dans un café du Mile End qui leur ressemblait: décor cool, léché et dépouillé, grandes fenêtres, longues tables en bois, chaises blanches. Ils avaient mal dormi. Bébé Jeanne, 9 mois, les avait tenus éveillés une partie de la nuit.

«Je suis particulièrement fatiguée et particulièrement émotive», m'a prévenue Marilou.

Elle a parlé très ouvertement de son anorexie. C'est ce qui l'a poussée à écrire 3 fois par jour. Elle a été d'une franchise désarmante.

«C'était très, très grave, genre plus de menstruations pendant des années», a-t-elle expliqué.

«Je me levais la nuit pour me peser, je me rendais malade. J'étais tout le temps faible, je perdais mes cheveux.»

«J'étais un peu boulimique, j'avais des rages de bouffe. Je m'entraînais deux heures par jour, sept jours par semaine, j'utilisais ça pour perdre du poids. Quand j'ai rencontré Alexandre, j'étais presque guérie. Je mangeais trois fois par jour, j'étais contente, je trouvais ça fabuleux.»

Sa vie est faite de ruptures: une carrière de chanteuse qui a débuté à 11 ans et sa décision de couper avec le milieu artistique neuf ans plus tard, son anorexie suivie par sa guérison et sa vie axée sur la nourriture avec la naissance de 3 fois par jour. Sans oublier une vie avec, puis sans alcool.

Elle a annoncé qu'elle ne buvait plus d'alcool sur les réseaux sociaux en mai 2015. Certains l'ont insultée. Son mari Alexandre l'a défendue en signant un billet vitriolique sur sa page Facebook, où il a tiré à boulets rouges sur les «magazines à potins de marde».

Lui aussi a supprimé l'alcool. «Ça a détruit la vie de mon père et de mon grand-père. En plus, je suis diabétique.»

Marilou et Alexandre travaillent ensemble depuis le début de l'aventure de 3 fois par jour. Lui fait les photos, elle, les recettes. Ils sont en pleine campagne de promotion pour la sortie du deuxième tome.

Le premier a connu un succès phénoménal: 250 000 exemplaires vendus, chacun, 34,95 $. L'auteur reçoit 10 % du prix du livre. Faites le calcul, on approche les 900 000 $. Sans compter les magazines, la gamme de vêtements pour bébés qui sortira bientôt, les publicités pour Desjardins, etc.

Ils ne veulent pas dévoiler leur chiffre d'affaires, mais, visiblement, leur business roule à plein régime. Ils emploient 17 personnes, le tome 1 est vendu au Canada et aux États-Unis, il est sorti en France jeudi et il sera bientôt en Suisse et en Belgique.

Ça roule vite. Trop?

«Ça me fait peur, a dit Marilou. J'aimerais ça que ça arrête de grossir.»

Mais avec le lancement du tome 2 et les promesses de vente aux États-Unis et au Canada, la machine Marilou risque de s'emballer. La vie simple dont elle rêvait quand elle a quitté l'univers de la chanson n'est pas pour demain.