La torture des prisonniers talibans vient de nouveau hanter le gouvernement Harper.

Des policiers militaires canadiens ont instauré un climat de terreur dans le centre de détention de Kandahar, en Afghanistan, en décembre 2010 et en janvier 2011.

C'est mon collègue Joël-Denis Bellavance qui a révélé cette histoire qui discrédite non seulement le gouvernement Harper, mais aussi le travail des Canadiens en Afghanistan.

On ne parle pas ici de torture lourde - chocs électriques et autres raffinements -, mais de climat de terreur.

Il existe une gradation dans la torture, bien sûr, sauf que la torture sous toutes ses formes, incluant les traitements dégradants et cruels, est interdite par la Convention de Genève qu'Ottawa a signée. Quand un policier militaire fait suffisamment peur à un prisonnier pour qu'il fasse dans son froc, comme c'était le cas à Kandahar, on est dans la torture.

Le pire, c'est que la torture n'est même pas efficace. Ce n'est pas Amnistie internationale qui le dit, mais le Sénat américain. Les méthodes d'interrogatoire « musclées » utilisées par la CIA sous George W. Bush n'ont pas permis de recueillir des renseignements utiles sur des menaces ou des complots, a conclu le Sénat en décembre 2014.

Environ la moitié des talibans capturés par les soldats canadiens étaient des fermiers inoffensifs. Quand l'OTAN a détruit leurs champs d'opium, ils se sont tournés vers les talibans qui les payaient. Ils voulaient nourrir leur famille. On est loin des têtes dirigeantes qui auraient pu divulguer des renseignements stratégiques sous la torture.

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Ce n'est pas la première fois que le gouvernement Harper se fait prendre les culottes baissées dans des histoires de torture.

En avril 2007, le Globe and Mail a révélé que des prisonniers talibans capturés par les soldats canadiens avaient été transférés aux services secrets afghans, qui les torturaient.

L'histoire a fait scandale. Le gouvernement Harper s'est empressé de signer une entente avec le président Karzaï, qui s'engageait à éliminer la torture.

Six mois plus tard, je suis allée dans la prison de Sarpoza à Kandahar. J'ai rencontré trois prisonniers talibans qui affirmaient avoir été capturés par des soldats canadiens, puis transférés aux services secrets afghans, qui les avaient salement torturés : ongles arrachés, privés de sommeil, décharges électriques, battus à coups de briques, etc. Leurs témoignages avaient été corroborés par le directeur de la prison qui avait assisté aux entrevues.

Nouveau scandale. Les conservateurs se sont défendus en disant que c'était de la propagande de taliban.

Est-ce que le gouvernement Harper savait que les services secrets afghans torturaient les prisonniers ? Ou plutôt, pouvait-il ne pas le savoir ?

J'en doute.

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18 novembre 2009, l'ancien ambassadeur du Canada à Kaboul, Richard Colvin, témoigne devant un comité parlementaire à Ottawa. Il a été en poste en Afghanistan pendant 18 mois, d'avril 2006 à octobre 2007.

Ses révélations sont explosives. Les prisonniers afghans étaient bel et bien torturés, a-t-il dit. La torture était un secret de Polichinelle. Il a alerté des civils et des militaires canadiens, incluant le général Rick Hillier, grand patron des Forces armées canadiennes en Afghanistan. Il a aussi envoyé 18 rapports à 75 personnes. Est-ce que ces rapports se sont rendus sur les bureaux des ministres responsables ou sur celui de Stephen Harper ?

L'histoire a encore une fois fait grand bruit. Le scandale a fini en eau de boudin, noyé par le gouvernement qui a tout fait pour discréditer Richard Colvin. Tirer sur le messager, un classique.

Il n'y a aucune preuve, répétaient les conservateurs. Une défense aussi navrante que lâche.

Ne pas croire des prisonniers talibans est une chose, mais ne pas croire son propre ambassadeur qui a été sur le terrain pendant un an et demi, on tombe dans la mauvaise foi et l'arrogance.

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Que reste-t-il de l'effort canadien en Afghanistan ?

La vie des Afghans s'est améliorée depuis la chute des talibans en 2001. J'étais en Afghanistan en 1996 sous les talibans. Il n'y avait pratiquement pas d'électricité, des quartiers entiers étaient éventrés par les bombes et les routes étaient dans un état catastrophique. Les talibans terrorisaient la population, les hommes autant que les femmes, sans oublier les exécutions publiques.

Depuis la chute des talibans, l'économie, dopée par les milliards de la communauté internationale, a connu un boom. Mais cet argent a alimenté la corruption, une corruption profonde qui touche tous les échelons, policiers, juges, fonctionnaires, politiciens.

Les soldats canadiens - et ceux de l'OTAN - se sont retirés en 2014, abandonnant le pays aux mains obscures des talibans et des seigneurs de la guerre qui se déchirent pour se hisser au pouvoir. Aujourd'hui, il reste moins de 1000 Canadiens, civils et militaires, à Kaboul.

Le Canada a contribué à la reconstruction du pays, mais ses efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès. Le gouvernement, par exemple, a voulu construire et agrandir 50 écoles dans la province de Kandahar de 2008 à 2011, sauf que cet ambitieux projet a viré à la catastrophe. En janvier 2014, j'ai visité plusieurs de ces écoles. Elles étaient en très mauvais état : murs qui pèlent, toits qui coulent, escaliers qui ne mènent nulle part. Plusieurs Afghans m'ont dit que les Canadiens étaient des incompétents.

Pas très bon pour l'image.

Et cette histoire de torture qui en rajoute une couche...

Douze ans d'intervention, 161 morts, dont trois civils, près de 20 milliards de dollars injectés. Et une image amochée. Triste bilan.