Stephen refusait de mourir. Il s'est accroché jusqu'à la fin, même s'il n'était que souffrance. Il est mort l'année dernière, le 24 mars. Il venait d'avoir 50 ans.

Stephen voulait vivre à tout prix, il y mettait une volonté féroce, presque opiniâtre. Pourtant, sa vie n'était plus une vie. Atteint de la maladie de Lou Gehrig, il a connu une lente descente aux enfers. Tous ses muscles se sont paralysés: il ne pouvait plus bouger les bras, les jambes, le torse, même le diaphragme, qui se contracte et permet à l'air d'entrer et de sortir des poumons.

La dernière année a été terrible: Stephen ne bougeait plus, il était cloué dans un fauteuil roulant. Au début, il pouvait l'actionner avec sa main, puis avec un doigt, puis plus rien. C'est sa femme, Marie-Josée, qui le poussait d'une pièce à l'autre. Il était totalement dépendant, mais lucide, emmuré dans son corps. Emmuré et condamné, car il n'existe aucun traitement. On ne guérit pas de la maladie de Lou Gehrig. Il n'y a que la mort au bout de la souffrance.

Quand son diaphragme s'est paralysé, Stephen a subi une trachéotomie. Un tube reliait sa gorge à un respirateur. La machine respirait pour lui. Peu de patients atteints de la maladie de Lou Gehrig optent pour la trachéotomie. Stephen avait étiré sa vie, mais il était devenu extrêmement fragile.

Il n'était pas croyant. Il pensait qu'il n'y avait rien après la mort, rien sauf le néant. Il ne voulait pas être avalé par le néant.

J'ai connu Stephen avant sa maladie. C'était un homme brillant, professeur à la prestigieuse Université d'Oxford, en Angleterre. Il avait voyagé partout, en Afrique, en Asie, en Amérique, une sorte d'Indiana Jones. C'était un verbomoteur qui parlait plus vite que son ombre. Il avait des opinions sur tout: les enfants, la science, la vie, la mort.

La maladie l'a réduit au silence. Au silence et à l'immobilité. Pour un homme comme Stephen, il ne pouvait exister pire châtiment.

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Vendredi, la Cour suprême a légalisé l'aide médicale à mourir dans un jugement aussi historique qu'unanime. La Cour a sévèrement balisé ce droit. Seul un adulte capable de dire clairement qu'il veut mettre fin à sa vie et qui souffre de problèmes de santé graves et irrémédiables qui entraînent des souffrances persistantes et intolérables a droit à cette aide.

La Cour s'est penchée sur le cas de deux femmes gravement malades. L'une d'elles, Gloria Taylor, souffrait de la maladie de Lou Gehrig. Stephen respectait tous les critères édictés par la Cour suprême: adulte, lucide, maladie grave et incurable, douleurs insupportables, morales et psychologiques.

En 1993, cette même Cour suprême avait rejeté la demande de Sue Rodriguez, une patiente atteinte, elle aussi, de la maladie de Lou Gehrig. Elle voulait qu'un médecin puisse mettre fin à sa vie. Les juges avaient refusé, car ils craignaient les dérives. Ils avaient peur que cette aide dérape et mette en danger des personnes vulnérables qui, «dans un moment de faiblesse, pourraient être incitées à se suicider».

Vingt ans plus tard, la Cour a changé d'idée. Les mentalités ont évolué, plusieurs pays ont adopté une loi semblable sans qu'il y ait ces dérives tant redoutées. Le gouvernement fédéral a un an pour se conformer au jugement. Un médecin pourra donc aider une personne à mourir sans être coupable d'un acte criminel passible de 14 ans de prison.

Comme l'a précisé la Cour, «le caractère sacré de la vie n'exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix».

Stephen aurait aimé cette phrase, même s'il voulait préserver sa vie à tout prix.

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Je connais la femme de Stephen, Marie-Josée. Elle l'a accompagné jusqu'aux portes de la mort. J'ai déjà raconté son histoire dans la foulée du Ice Bucket Challenge. Je lui ai parlé dimanche. Stephen était pour l'aide médicale à mourir, farouchement pour.

«Quand tu as la maladie de Lou Gehrig, tu perds le contrôle de ta vie, m'a-t-elle dit. Si tu choisis le moment où tu veux mourir et que tu reçois de l'aide, tu ne perds pas le contrôle de ta mort.»

Stephen disait parfois: «C'est moi qui vais décider où et quand je vais mourir.» Il vivait à Boston, au Massachusetts, un État qui n'autorise pas le droit à mourir.

On parle beaucoup de «Mourir dans la dignité». Marie-Josée n'y croit pas. «Quelle dignité? demande-t-elle. Celle de souffrir comme un chien, de frôler la mort à tout instant, de se retrouver nu devant la maladie, de survivre grâce à un respirateur et un tube d'alimentation planté dans le ventre? Comment l'agonie peut-elle vous rendre votre dignité? Je dirais plutôt mourir dans la compassion, car c'est tout ce qu'il reste à un mourant.»

Stephen voulait vivre coûte que coûte. Il en a payé le prix. Il est mort au bout de sa souffrance, comme un supplicié.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca