Lundi, 19 h. Pauline Marois est tranquillement assise dans un fauteuil de sa chambre d'hôtel à Baie-Saint-Paul, un verre de vin blanc à la main. Elle vient de terminer 34 jours de campagne électorale. Elle est calme, détendue, "sereine". Le pouvoir est là, tout près.

Elle sourit à son mari, Claude Blanchet, qui entre et sort de la chambre. Je n'ai jamais vu Mme Marois aussi détendue. Elle a laissé sa langue de bois dans son autobus de campagne. Quand je lui pose des questions, elle répond directement, sans ses habituels détours dictés par la prudence.

Demain, les Québécois voteront. Elle sera enfin la première femme premier ministre, elle en est profondément convaincue.

- Est-ce que les femmes ont une façon différente de diriger?

- Je crois que oui, répond-elle. Les femmes aiment consulter, ce qui ne nous enlève pas notre capacité de décider.

- Font-elles de meilleures dirigeantes?

- Je l'espère. On est davantage capables d'accepter nos erreurs, de les reconnaître, ce qui nous permet de rectifier le tir quand il y a des ajustements à faire. Les hommes ont tendance à croire qu'ils ont toujours raison. D'admettre que ce n'était pas le bon choix, c'est dur pour leur ego.

Mme Marois rit. Oui, les hommes ont de gros egos.

- Plus gros que les femmes?

- Oui, définitivement oui.

Son modèle de femme? Lise Payette. Et Gro Harlem Brundtland, qui a déjà été première ministre de la Norvège. "Elle avait une assurance tranquille et une capacité à ne pas se prendre au sérieux", explique Mme Marois.

- Est-ce que les hommes se prennent trop au sérieux?

- Ah mon Dieu, ils se prennent plutôt au sérieux, ça fait partie de l'ego, répond-elle en riant.

Mme Marois n'a jamais oublié le conseil que Lise Payette lui a donné en 2005, après son amère défaite à la direction du parti. André Boisclair l'avait battue. On lui reprochait ses bijoux et ses grands châles et on la traitait de grande bourgeoise, alors que personne ne critiquait les complets chics d'André Boisclair signés par le designer québécois Philippe Dubuc.

- Lise avait dit: 'Écoute Pauline, trouve-toi un tailleur noir et ils vont arrêter de t'écoeurer et de te parler de tes bijoux et de ton foulard.' Et elle avait totalement raison. J'ai abandonné les foulards il y a quelques années à cause des critiques.

- On est plus dur avec les femmes?

- Mais oui, bien sûr.

Pendant sa campagne électorale, elle a épuré son style: tailleurs sobres, bijoux modestes, voix douce délestée de tout soupçon d'agressivité. Car les Québécois n'aiment pas les femmes agressives. Mais elle a gardé une coquetterie: ses talons hauts.

«J'ai changé de ton à partir de janvier. Pendant les débats, je me disais il faut que je garde mon calme, je ne dois pas sortir de mes gonds. C'était très difficile. J'ai fait la même chose pour les vêtements. Je me suis dit: Écoute, ça te fait peut-être plaisir de porter une boucle d'oreille plus grosse et tu aimes les couleurs vives, mais si ça distrait le monde, épurons tout ça. Quand je sors avec mes amies ou que je reçois ma gang à la maison, je fais des folies et je mets des couleurs orangées et turquoise.»

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Mme Marois a vu neiger. «J'ai dirigé tous les gros ministères, j'ai côtoyé tous les premiers ministres du PQ qui ont eu des types de leadership fort différents et j'ai vécu toutes les crises du PQ.»

Les crises du PQ, un parti qui pratique le régicide plus vite que son ombre et qui a les belles-mères les plus redoutables de la province. Mme Marois a goûté à la médecine des crises. Elle a failli y laisser sa peau. Elle a survécu, elle en est fière, mais les humiliations que les députés démissionnaires lui ont fait subir l'année dernière ont laissé des traces.

- Je suis une survivante. Je suis la seule d'ailleurs. Jacques Parizeau a quitté, Bernard Landry aussi, André Boisclair, Lucien Bouchard, Pierre-Marc Johnson, René Lévesque. Ils sont tous partis.

- Pourquoi êtes-vous restée?

- Les femmes sont résilientes. Je suis restée malgré les humiliations. Parce que j'en ai eu, des humiliations. Quand on dit que je ne passe pas ou que je devrais m'en aller, c'est dur à prendre. Quand les députés quittent parce qu'ils disent qu'ils ne gagneront pas avec moi... Ils vont aller perdre avec M. Legault.

Mme Marois a eu un sourire qui en disait long sur les couleuvres qu'elle a dû avaler au cours des années. Elle a tranquillement vidé son verre de vin en compagnie de son mari et de son attachée de presse en rêvant au pouvoir et à un gouvernement majoritaire. Elle a été exaucée à moitié. Hier, elle a gagné, mais elle n'a pas obtenu la majorité tant souhaitée.

Michele.ouimet@lapresse.ca