«On s'en va!»

Akbar me tire par la manche.

«Non, je reste!»

Ça faisait des jours que j'essayais d'entrer dans la prison de Sarpoza, à Kandahar. Je voulais parler à des talibans qui avaient été capturés par des soldats canadiens. J'approchais du but. Pas question de partir.

 

Les soldats canadiens remettaient les talibans aux services secrets afghans qui les torturaient et les envoyaient ensuite à la prison de Sarpoza, à l'autre bout de la ville.

Stephen Harper et Hamid Karzaï juraient qu'il n'y avait plus de torture, car ils avaient conclu une entente quelques mois auparavant.

J'avais des doutes. Des gros doutes. Je me disais que la torture n'avait sûrement pas disparu du jour au lendemain, même si deux chefs d'État en avaient décidé autrement en signant un bout de papier.

Je voulais vérifier sur place. D'où mon obsession pour entrer dans la prison de Sarpoza où étaient détenus 200 talibans.

Akbar et moi avons travaillé comme des fous pour entrer dans cette foutue prison: des heures d'attente entrecoupées de longs palabres. On a finalement obtenu le feu vert.

Les lourdes portes de Sarpoza se sont ouvertes en grinçant. Le directeur de la prison était nerveux: «C'est très dangereux, les prisonniers peuvent vous tuer», nous a-t-il avertis.

J'ai regardé Akbar, une lueur d'inquiétude dans les yeux. Il a levé un sourcil. J'ai compris. C'était de la frime, le directeur voulait se débarrasser de nous.

Nous avons traversé une cour en terre battue avant de rejoindre le quartier où vivaient, entassés, talibans, terroristes et autres membres d'Al Qaeda. Les détenus étaient hostiles. C'était le jour des visites et notre présence bloquait les familles à l'extérieur de la prison.

Je suis entrée dans une grande cellule où vivaient plusieurs talibans. L'endroit était sinistre: sale, froid, sombre. Les prisonniers m'ignoraient, ils parlaient avec Akbar. Leur ton était dur, agressif.

C'est là qu'Akbar m'a dit: «On part!» Et c'est là que je lui ai répondu: «Non, je reste!»

Pourtant, l'agressivité était palpable, elle saturait l'air. Je me disais que si je partais, je ne pourrais jamais revenir à Sarpoza. Je préférais me fermer les yeux.

En tirant sur ma manche, Akbar m'a sortie de ma bulle. Les regards hostiles et l'atmosphère électrique m'ont sauté au visage.

On est sortis de la prison sous le regard survolté des prisonniers, le coeur battant. Akbar marchait à grandes enjambées. Pendant que je trottinais à côté de lui en serrant mon foulard sur ma tête, le regard rivé au sol, je maudissais ma tête de cochon.

Je me suis juré que, dorénavant, j'écouterais Akbar.

Il est Afghan, il connaît son pays. Il parle le pachtoun, le dari et le tadjik et il sait comment capter l'étincelle hostile qui peut tout faire basculer et mettre notre vie en danger.

Nous sommes retournés à Sarpoza trois jours plus tard. Les prisonniers ont accepté de nous parler. Ils nous ont même offert du thé. J'ai passé des heures avec eux. Akbar a patiemment traduit leurs histoires d'horreur: ongles arrachés, battus avec des câbles électriques, suspendus à un crochet, les bras tordus derrière le dos.

La torture existait bel et bien. L'histoire, publiée dans La Presse, a plongé le gouvernement Harper dans l'embarras.

C'est ça, un bon fixeur.