Tout va bien, ont répété l'OTAN et le président Hamid Karzaï. Washington a même parlé de succès : les Afghans ont voté, le taux de participation a oscillé autour de 50% et les talibans se sont tenus relativement tranquilles. Il n'y a eu qu'une cinquantaine de morts, une broutille dans ce pays où on s'entretue depuis 30 ans.

Tout va bien donc, tout va très bien.

Ça, c'est le fantasme. La réalité est plus complexe, plus difficile à cerner. Les bureaux de vote venaient à peine de fermer que le président Karzaï et l'OTAN parlaient d'un taux de participation de 50%. Au Canada, ce chiffre sort plusieurs heures après la fin du scrutin.

Cinquante pour cent. Permettez-moi d'en douter. L'Afghanistan est en guerre, une bonne partie de la population vit dans des villages reculés, les moyens de communication sont minimalistes et une partie des boîtes de scrutin voyage par dos d'âne. Impossible d'estimer le taux de participation avec une telle rapidité.

Les journalistes sur le terrain à Kaboul ont raconté que les rues étaient vides. Je regardais les images à Radio-Canada: bureaux de vote quasi déserts, magasins fermés, ville fantôme. Je ne reconnaissais pas Kaboul toujours si agitée, si fébrile avec ses échoppes en désordre, ses marchands ambulants et sa circulation hystérique.

Il fallait vraiment que les Afghans aient peur pour se barricader de la sorte. Les journalistes du Monde, de Libération, du New York Times, du Guardian, des réseaux anglais et français de Radio-Canada racontaient la même histoire: les électeurs sortaient au compte-gouttes.

La perception des journalistes a été confirmée par Jean McKenzie du IWPR, un organisme spécialisé dans les zones de guerre qui a des correspondants partout en Afghanistan.

Impossible d'estimer le taux de participation, a-t-elle expliqué à ma collègue Agnès Gruda. «Je serais extrêmement choquée d'apprendre qu'il y a eu 50% de participation ou plus. Si c'est le cas, ça ne pourrait signifier qu'une chose: qu'il y a eu de la fraude massive.»

Personne ne sait vraiment ce qui s'est passé, hier, en Afghanistan. Les résultats préliminaires ne sortiront que demain et le score final ne sera connu que dans deux semaines. Si tout va bien. Et si les ânes trottinent assez vite.

Et il ne faut pas oublier la fraude qui a entaché tout le processus. Il n'y avait même pas de liste électorale. L'électeur se présentait avec sa carte dans le bureau de son choix. Selon le Guardian, environ trois millions de fausses cartes électorales circulaient dans le pays. Sur un total de 17 millions.

L'encre indélébile a aussi fait jaser. Tous les électeurs devaient tremper leur doigt dans l'encre. Difficile de voter deux fois avec une tache sur le doigt. Dans plusieurs endroits, l'encre n'était pas indélébile. Les gens réussissaient à l'enlever avec du simple détergent. D'autres enduisaient leur doigt d'huile avant de voter pour empêcher l'encre de tacher. Fiez-vous aux Afghans pour trouver des trucs, ils sont très ingénieux.

En 2004, les gens étaient enthousiastes. Un vent d'optimisme balayait l'Afghanistan et des électeurs formaient de longues files devant les bureaux de vote. Le taux de participation a atteint 75%. Cinq ans plus tard, la peur et la désillusion ont sapé le moral des Afghans. Pourquoi risquer sa vie pour élire un gouvernement corrompu à l'os et incapable de remettre le pays sur les rails?

Il y a une limite au courage.

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Serge Marcoux a été ambassadeur du Canada en Bosnie-Herzégovine de 1996 à 1999. Il a vécu entre Serbes, Croates et Bosniaques dans «une situation exactement similaire à celle que vous décrivez» en Afghanistan, m'a-t-il écrit.

«Ce ne sont pas des élections qui créent la démocratie, mais la démocratie qui permet des élections libres et équitables», a-t-il dit.

Hier, les élections n'étaient ni libres ni équitables. Une conclusion s'impose: la démocratie n'existe pas encore en Afghanistan.