Un journaliste canadien, George McLeod, a été arrêté à Téhéran dimanche. La police l'a pris pour un manifestant.

Une arrestation musclée : poussé contre une camionnette, frappé à la tête, le bras tordu derrière le dos. Il a été détenu au quartier général du ministère de l'Intérieur pendant «quelques heures terrifiantes».

«À l'intérieur d'une salle en béton, a-t-il écrit, hier, dans le Globe and Mail, j'ai vu plus d'une cinquantaine de manifestants (...) les mains derrière la tête. Certains étaient couverts de sang, et les policiers, armés de bâtons, patrouillaient les rangs, frappant certains détenus sur les épaules.»

Il a eu droit au même traitement que les centaines d'Iraniens arrêtés pendant les manifestations qui secouent Téhéran depuis trois jours.

Vendredi, le président sortant Mahmoud Ahmadinejad a été réélu avec 63% des voix, battant son plus proche rival, Hossein Moussavi qui, lui, n'a récolté que 33% des voix.

Des élections frauduleuses?

«Absolument, répond sans hésiter Houchang Hassan-Yari, professeur au Collège militaire royal du Canada. Moussavi n'est pas arrivé premier dans sa province, ce qui est incroyable. De plus, on n'a même pas accès aux données. »

Le peuple iranien n'a pas été dupe. Depuis trois jours, il ne décolère pas. Hier, affirme le correspondant de la BBC à Téhéran, des centaines de milliers de gens sont descendus dans la rue pour protester, du jamais vu depuis l'arrivée des mollahs au pouvoir en 1979. L'équivalent d'un tremblement de terre politique.

Et tout ce monde appuie Moussavi. La colère des Iraniens est facile à comprendre. Ils étouffent dans ce régime théocratique où tout est contrôlé, où l'économie est en faillite, où le quart des Iraniens sont sans travail. Ahmadinejad, un homme à la personnalité agressive, est à couteaux tirés avec l'Occident. Il a même menacé de rayer Israël de la carte.

La société iranienne est jeune, éduquée, branchée sur l'internet. Les femmes veulent davantage de liberté. Plus de la moitié des Iraniens ont moins de 30 ans. Ils sont nés après la révolution de 1979.

En Iran, la séparation des sexes est une obsession. Les hommes et les femmes sont séparés. Partout. Dans les autobus, les femmes en arrière, les hommes en avant ; même en ski, une pente pour les hommes, une pente pour les femmes.

Des interdits qui frisent la névrose. Dans son livre Lire Lolita à Téhéran, Azar Nafisi raconte l'histoire d'un garçon de 10 ans qui réveille ses parents le matin. Il est horrifié, car il a fait un «rêve illégal». «Il était à la plage avec des hommes et des femmes qui s'embrassaient et il ne savait pas comment réagir, raconte Azar Nafisi. Et il répétait sans cesse ''Je fais des rêves illégaux!''».

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En 1997, les Iraniens ont voté pour un réformateur, Mahommed Khatami. Le régime a lâché du lest et la presse a connu une certaine liberté. C'était le printemps de Téhéran.

Cette période euphorique a été de courte durée. Les mollahs ont rapidement étouffé ces bulles de liberté. Téhéran s'est révolté, les manifestants sont descendus dans la rue. Pendant cinq jours, la ville s'est transformée en champ de bataille. Le pouvoir a été ébranlé, mais il a vite écrasé la révolte.

Khatami a soulevé beaucoup d'espoir, mais il n'a pas fait grand-chose. Et pour cause : le président a peu de pouvoir en Iran. Le vrai pouvoir repose entre les mains du guide suprême, Ali Khamenei. Il était là en 1997. Il est toujours en poste aujourd'hui. Il soutient Ahmadinejad. Samedi, il l'a félicité pour sa réélection.

Aujourd'hui, Khatami appuie Moussavi. Mais Moussavi, tout comme Khatami, n'est pas un révolutionnaire. C'est un réformateur qui ne remet pas en question les mollahs.

Bien au contraire, il a été premier ministre de l'Iran de 1981 à 1989. Il veut réformer le régime, lui donner de l'oxygène, pas le transformer radicalement, encore moins le renverser.

Ahmadinejad est un ultraconservateur. Moussavi, lui, est un conservateur réformateur.

Les manifestations monstres qui ont déferlé sur Téhéran depuis quelques jours montrent à quel point les Iraniens en ont ras-le-bol. Un gigantesque ras-le-bol. Le guide suprême Khamenei a d'ailleurs été ébranlé. Hier, il a annoncé qu'il y aurait une enquête sur les élections du 12 juin.

Moussavi catalyse les frustrations des Iraniens. La vraie révolution se passe dans la rue. Le régime survivra-t-il ?

«Ça dépend, répond Houchang Hassan-Yari. Peut-être, si les manifestants persistent, s'ils se répandent à travers le pays et si des membres influents du clergé sortent pour les appuyer.»

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Et le journaliste du Globe and Mail? Il a été libéré après quelques heures de détention. Avec des excuses, un sourire et une tasse de thé.

Mais pendant qu'il sort de prison la tête haute, des centaines d'autres attendent dans la peur. Ils savent qu'ils peuvent disparaître pendant des mois.

C'est ça, l'Iran d'Ahmadinejad.