Loin de moi l'idée de reprocher au maire Gérald Tremblay le militantisme éthique qui l'assaille depuis quelques jours: lancement d'une ligne téléphonique de dénonciation, création d'un poste de commissaire à l'éthique, guide de conduite pour les élus.

Toute cette agitation est saine, mais elle ne doit pas servir à noyer le poisson. Et le poisson est gros. On parle du plus important contrat de l'histoire de la ville, un pactole de 355 millions que deux entreprises, Dessau et Simard-Beaudry, ont raflé et sur lequel flotte une odeur de scandale.

 

Le problème: l'apparence de conflit d'intérêts qui a entouré l'attribution de ce gigantesque contrat qui prévoit l'installation de compteurs d'eau.

Je vous résume l'affaire: l'ex-président du comité exécutif, Frank Zampino, a voyagé sur le yacht de Tony Accurso qui a obtenu le contrat des compteurs d'eau.

M. Zampino est un grand ami de Tony Accurso. Le consortium qui a obtenu le contrat est composé de Simard-Beaudry, qui appartient à M. Accurso, et de Dessau qui a embauché M. Zampino six mois après son départ de la vie politique. Le voyage de M. Zampino sur le luxueux yacht de Tony Accurso s'est déroulé en plein processus d'attribution du contrat.

M. Zampino a protesté de sa bonne foi: tout a été fait selon les règles de l'art. Et pour le prouver, il a proposé au maire de lui envoyer toutes les factures de son voyage sur le yacht désormais célèbre de M. Accurso.

Mais quand Gérald Tremblay a précisé que les factures allaient être rendues publiques, M. Zampino a changé d'idée en s'étouffant d'indignation: inquisition! Atteinte à sa vie privée!

Voilà l'histoire. Disons les choses clairement: ça regarde mal. Le maire le sait. D'où l'offensive, la ligne téléphonique de dénonciation, le commissaire à l'éthique et tout le bataclan.

Le poisson est gros, ça prend beaucoup d'eau pour le noyer.

Le maire était sur toutes les tribunes, hier. Il défendait son idée de créer une ligne téléphonique de dénonciation. Ou plutôt de prévention, comme tenait à le souligner Gérald Tremblay. Le mot dénonciation le hérissait.

On peut se moquer de ces précautions oratoires. Oui, il y aura bel et bien dénonciation, mais la ligne ne servira pas à de la délation bébête où n'importe quel citoyen pourra faire un appel anonyme pour moucharder trois cols bleus accotés trop longtemps sur leur pelle autour d'un trou.

La ligne ne servira pas non plus à régler des comptes avec un patron détestable ou un collègue honni. Les plaintes devront être sérieuses si elles veulent aboutir sur le bureau du vérificateur de la Ville. On parle ici d'employés témoins de corruption ou de gaspillage de fonds publics qui auront le courage de dénoncer un supérieur, un élu, un collègue ou un promoteur qui s'en met plein les poches.

Chaque personne qui utilisera la ligne devra se nommer. Son anonymat sera protégé. Seuls les employés et les gens qui brassent des affaires avec la Ville pourront l'utiliser.

Les informations seront recueillies par une firme privée, comme c'est le cas à Edmonton et Ottawa. Elles seront ensuite acheminées au bureau du vérificateur qui en fera l'analyse et ordonnera une enquête s'il le juge nécessaire.

Hier après-midi, j'ai parlé au maire. Il m'a assuré que le vérificateur, qui est décidément un homme très occupé par les temps qui courent, aura davantage d'argent pour étudier les plaintes et mener ses enquêtes.

Il manque une chose au plan de M. Tremblay. Les dénonciateurs doivent jouir d'une immunité qui les protégera contre une sanction salariale ou un congédiement. Sans immunité, peu d'employés oseront se mettre la tête sur le billot.

Évidemment, cette ligne n'est pas magique. Par contre, elle lancera un signal clair aux magouilleurs. Selon une étude canadienne effectuée en 2007, 13,3% des fraudes ont eu lieu dans des administrations publiques et 42% de ces cas ont été détectés à la suite d'une dénonciation.

Hier, l'éthique était à la mode. Le premier ministre Jean Charest a annoncé qu'il avait bel et bien l'intention de créer un poste de commissaire à l'éthique à la suite de la demande de Gérald Tremblay. Les villes du Québec auront enfin un chien de garde, ce qui va drôlement contraster avec la simili-éthique qui les gouverne.

Actuellement, trois petits articles de loi frileux parlent d'éthique municipale. En gros, si un élu est en conflit d'intérêts et qu'il se retire lorsque son dossier est discuté, il devient blanc comme neige. Pas fort.

Alors, un commissaire à l'éthique, c'est le pactole.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca