Trois soldats canadiens sont morts. Leur blindé a sauté sur une mine, mardi, à 17h40, en banlieue de Kandahar. Encore des morts: 111 depuis le début de la guerre.

À chaque mort, la même question revient: pourquoi cette guerre? La question est plus lancinante depuis que le premier ministre Stephen Harper a avoué, lors d'une entrevue à CNN, que les Occidentaux ne gagneront pas la guerre.

 

«Jamais nous ne battrons les insurgés», a-t-il confié à un journaliste américain.

On ne peut pas accuser Stephen Harper d'être responsable de la mort de ces trois soldats. Trop facile. Le premier ministre a enfin eu le courage de dire la vérité même si elle fait mal. Une vérité toute nue. Le problème, c'est ce qu'on fait avec cette vérité. Pour l'instant, M. Harper ne bouge pas. Il a lancé sa bombe, puis il s'est tu. Zéro stratégie.

Que doit faire le Canada? Rester en Afghanistan et continuer à se battre dans une guerre vouée à l'échec? Ou se retirer et laisser le pays sombrer dans le chaos? Car c'est ce qui arrivera, n'en doutez pas.

«Il y aurait les seigneurs de la guerre d'un côté et les talibans de l'autre, croit Didier Chaudet, spécialiste de l'Afghanistan. Ceux qui n'ont pas de milice seraient vite balayés, le président Hamid Karzaï en premier.»

Le même scénario catastrophe qui a suivi le retrait des Soviétiques risque de se répéter. Armés par les Américains, les seigneurs de la guerre ont combattu les Russes pendant 10 ans, puis ils se sont battus entre eux pour prendre le pouvoir. L'Afghanistan a alors basculé dans une sanglante guerre civile.

Les Occidentaux se sont royalement piégés en Afghanistan. Ils ne peuvent pas reconstruire sans se battre, car les talibans les attaquent. Et ils se battent pour reconstruire un pays qui risque de chavirer de nouveau dans la guerre civile après leur départ. L'Afghanistan sera détruit et il aura besoin - encore! - d'être reconstruit. On tourne en rond. C'est pathétique.

Stephen Harper mise sur les soldats afghans. La relève. Je ne veux pas le décourager, mais ce n'est pas demain la veille que l'armée afghane pourra se frotter aux talibans. Les soldats sont sous-équipés et sous-entraînés. Une armée broche-à-foin davantage préoccupée par la qualité du pot qu'elle consomme en grande quantité que par la chasse aux talibans.

Les Occidentaux se sont lancés tête baissée en Afghanistan sans se douter de l'immensité de la tâche, de la résistance des talibans, de la force d'Al-Qaeda et de la complexité de ce pays, patchwork fait de clans, de tribus et d'ethnies.

Aujourd'hui, ils en paient le prix. Ils tournent en rond en laissant des morts sur le champ de bataille.

Le 20 août, il y aura des élections en Afghanistan. Le président Hamid Karzaï veut sauver sa tête. Sa cote de popularité est en chute libre, lui, le chouchou des Américains pendant des années, celui en qui l'Occident avait placé tous ses espoirs.

Karzaï a déçu. Son gouvernement est rongé par la corruption. Il vit dans sa bulle, à Kaboul, loin du peuple.

Il sait que les Américains sont en train de le lâcher. C'est pour ça qu'il a tenté un coup de force en essayant de devancer les élections de trois mois. Il voulait prendre de court ses opposants et la communauté internationale.

Mais hier, la commission électorale a tranché: les élections auront lieu en août. Avril est exclu: le pays est trop instable, les talibans trop menaçants.

Olivier Roy, expert de l'Afghanistan, croit que Karzaï va perdre. «Il est très impopulaire et la vague de mécontentement est très forte.»

Parmi les candidats à la présidence figure Gul Agha Sherzaï, ancien seigneur de la guerre et chef d'une puissante tribu pachtoune, les Barakzaï. Un homme à la réputation sulfureuse, immensément riche. Je l'ai rencontré trois fois.

La dernière fois, c'était en octobre 2007, chez lui, à Kaboul. Il était en retard, car il revenait de Sheerpur, un quartier ultrachic de la capitale où vivent trafiquants de drogue, ministres et seigneurs de la guerre dans des maisons gigantesques plus tapageuses les unes que les autres. Il avait visité un terrain que le gouvernement venait de lui donner.

Je lui avais demandé combien il valait. Il m'avait répondu en riant qu'il n'avait pas le temps de compter ses millions.

Et cet homme veut devenir président de l'Afghanistan. Ça vous donne une idée du pays.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca