La liberté de Mellissa Fung avait un prix: la libération de prisonniers afghans.

«C'était un échange de prisonniers, a dit Mme Fung hier. (...) Je comprends maintenant que les services de renseignement afghans ont repéré le chef du réseau de ce groupe et en ont arrêté plusieurs membres. Ils ont accepté de les relâcher à la condition qu'ils me libèrent.»

Mellissa Fung a accordé une entrevue d'une heure à Radio-Canada. Elle a raconté les 28 jours de sa captivité: sa peur, les interminables nuits où elle dormait peu, sa vie dans un trou à peine plus grand qu'un placard, son étrange relation avec ses ravisseurs, sa libération.

Pendant une minute, une seule, elle a parlé des conditions qui ont entouré sa libération. Pour elle, il n'y a aucun doute: des prisonniers ont été libérés en échange de sa liberté.

Une minute explosive qui met le premier ministre du Canada dans l'embarras. Mardi, Stephen Harper a soutenu qu'il n'y avait eu aucun échange. Il était catégorique. Il réagissait à une nouvelle du Pakistan Observer qui affirmait que deux prisonniers talibans avaient été libérés en échange de Mellissa Fung.

Hier, c'était au tour de Mme Fung. Deux jours, deux déclarations, deux sources différentes: Mme Fung et le Pakistan Observer.

Hier, le démenti est venu de l'attaché de presse de M. Harper, Dimitri Soudas. J'ai eu beau le bombarder de questions, il a répété la même réponse: aucun échange, aucune rançon.

Donc Mme Fung ment? Le Pakistan Observer se fourvoie? Ou c'est le gouvernement afghan qui a accepté l'échange?

M. Soudas a répété sa réponse comme un mantra: aucun échange, aucune rançon.

Qui croire? Mme Fung, qui a parlé avec le chef des services de renseignement afghans, ou M. Harper qui a tendance - et là, je suis polie -, à prendre certaines libertés avec la vérité dès qu'on aborde la question afghane?

J'ai déjà goûté à cette médecine. En octobre 2007, j'ai écrit que les talibans capturés par les soldats canadiens étaient torturés. Stephen Harper avait balayé l'histoire en jurant que c'était faux. Son ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, en avait rajouté en disant que c'était de la propagande talibane.

L'histoire était pourtant vraie. Deux semaines après sa publication, M. Harper avait été contredit par la Cour fédérale et le président Hamid Karzaï avait reconnu qu'il y avait toujours de la torture dans son pays.

Alors, je pose de nouveau la question: qui faut-il croire?

Il reste de nombreuses zones d'ombre. Sur quoi s'appuie Mme Fung pour affirmer qu'il y a eu un échange de prisonniers? Sa conversation avec le chef des services de renseignement afghans?

Ces services sont redoutables. Ils voient tout et ils savent tout. Rien ne leur échappe. Je le sais, j'ai déjà eu affaire à eux lorsqu'ils ont voulu arrêter mon traducteur. La veille, nous avions passé plusieurs heures dans la prison de Kandahar. J'avais interviewé des talibans qui affirmaient qu'ils avaient été torturés.

Le lendemain, des types des services de renseignement s'étaient pointés à l'hôtel de mon traducteur pour l'arrêter. Ils étaient au courant de tout: notre visite dans la prison, nos entrevues. Tout-puissants, je vous dis.

Si M. Harper a accepté que des prisonniers soient libérés, il devra répondre à des questions. Qui étaient-ils? De vulgaires criminels qui gagnent leur vie en kidnappant des étrangers ou des chefs talibans emprisonnés parce qu'ils ont assassiné des soldats étrangers, comme le soutient le Pakistan Observer?

Le Canada peut-il faire la guerre aux talibans et, en même temps, discuter avec eux dans le plus grand secret pour obtenir la libération d'un otage? Comment vont réagir les familles des soldats canadiens morts en Afghanistan lorsqu'ils apprendront que Stephen Harper négocie avec l'ennemi et accepte de libérer des prisonniers? Quel impact aura cette nouvelle sur une guerre impopulaire?

On ne connaîtra probablement jamais le fin mot de cette histoire. M. Harper n'est pas du genre bavard.

Le ministère des Affaires étrangères n'est pas disert non plus. L'attachée de presse du ministre Lawrence Cannon a réagi aux affirmations de Mme Fung en envoyant un courriel qui se résume en quelques mots: aucune rançon, aucun échange. Pour toute autre question, a-t-elle ajouté, parlez aux autorités afghanes.

Quand j'étais en Afghanistan, les Canadiens refusaient de répondre à mes questions. «Appelez Ottawa», me disaient-ils.

Aujourd'hui, je suis à Montréal et on me dit: «Appelez Kaboul.»

Décidément, c'est une manie.

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