Rose-Andrée Sauvageau adore les fleurs. Elle peut en parler pendant des heures. Elle aime les fleurs au point de souhaiter que tout le monde puisse en avoir autour de soi. «Si vous voulez des hibiscus vivaces, dites-le-moi. Je vais vous partir des plants. Je suis la reine de la bouture.»

J'ai fait connaissance avec Rose-Andrée il y a quelques mois lors d'une visite dans le quartier de Réjean Ducharme. L'auteur habitait à quelques mètres de la «reine de la bouture». Préférant utiliser la porte arrière de sa maison pour ses balades quotidiennes, le mystérieux voisin empruntait un passage qui longe un jardin communautaire et une ruelle qui sépare la maison de Rose-Andrée d'une série de HLM.

Rose-Andrée m'avait dit lors de cette rencontre qu'elle voulait embellir la ruelle et la nommer du nom de celui qui était connu pour sa grande discrétion. C'est maintenant fait. 

La mémoire de Réjean Ducharme est honorée par une petite ruelle conçue avec deux bouts de ficelle et beaucoup de passion. L'auteur aimerait sans doute le résultat, lui qui aimait s'arrêter devant les fleurs.

«On a reçu un appui extraordinaire de l'écoquartier du Sud-Ouest [qui comprend la Petite-Bourgogne], de même que de la Ville et de la Fondation Réjean-Ducharme», m'a raconté Rose-Andrée. Une plate-bande a été créée. On y retrouve toutes sortes de plantes et de fleurs. Au bout de la ruelle, on a installé une boîte de livres à partager. Une plaque devrait être installée pour indiquer l'emplacement de la ruelle qui est perpendiculaire à la rue Quesnel.

«On doit attendre que la personne soit décédée depuis un an avant de pouvoir baptiser un lieu de son nom», explique Rose-Andrée. La plaque ne devrait pas tarder, car cet anniversaire a lieu demain.

Le projet a été rassembleur. Des voisins qu'on n'a pas l'habitude de voir se sont impliqués. Samedi, une petite fête a été organisée pour inaugurer ce bout de chemin fleuri.

Je le disais, la ruelle longe des HLM. Plusieurs enfants vivent dans ces appartements. Rose-Andrée a mené ce projet en pensant à eux. Elle a tenu à mettre des bacs à jardinage et à créer une aire de jeux. La nouveauté des derniers jours a été le don de voiturettes dans lesquelles les gamins peuvent se déplacer.

Un graffitiste a l'habitude de sévir dans le quartier. La semaine dernière, il a fait un geste qui a fait plaisir à Rose-Andrée. «Regardez, il a tracé des lignes sur le sol, il a fait un mini-parking pour les voiturettes. Et regardez ici, il a fait des fleurs. Disons que je préfère cela à des pénis.»

En voyant cet espace conçu pour les enfants, je n'ai pu m'empêcher de penser à Manon, ce bouleversant personnage imaginé par Ducharme dans le film de Francis Mankiewicz, Les bons débarras. Dans l'une des nombreuses déclarations d'amour à sa mère, Manon fantasme à l'idée de voir celle-ci recevoir un «beau char sport» des mains d'un «gars qui en a de collé».

«On sortirait ensemble, on ferait nos fraîches. On passerait à cent miles à l'heure, pis on aurait un accident, un gros. On perdrait beaucoup de sang. Ton sang se mélangerait au mien, dans l'asphalte. Pis y pousserait une fleur, dans l'asphalte, pas arrachable, pas cassable, pas écrapoutissable. T'aimerais pas ça toé?»

Merci à Rose-Andrée et à tous ceux qui portent à bout de bras des projets communautaires comme celui-ci. Ils réussissent des miracles. Comme faire surgir des fleurs de l'asphalte.

À QUELLE HEURE ON MEURT?

Il y a exactement 30 ans, Martin Faucher, fraîchement sorti du cégep de Saint-Hyacinthe, plongeait tête première dans un projet fou et audacieux, celui de réunir des textes de Réjean Ducharme et d'en faire un collage destiné au théâtre.

À quelle heure on meurt? réunit avec brio des pans de la poésie typiquement ducharmienne puisés à même ses romans, ses pièces et ses chansons. Cet exercice, qui a «mis au monde» le metteur en scène naissant qu'était Martin Faucher en 1988, méritait une publication.

Souhaitons maintenant que ce texte retrouve de nouveau le chemin de la scène.

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À quelle heure on meurt?

• Réjean Ducharme/Martin Faucher

• Éditions Triptyque