La récente victoire de la France à la Coupe du monde de football a donné lieu à des moments grandioses. Il n'y a rien de plus beau, de plus fort et de plus émouvant qu'une foule en liesse. Ce symbole de joie et d'unité est plus puissant que tout. J'avoue que cela m'émeut au plus haut point.

Malheureusement, une foule en délire peut représenter le contraire de tout cela. Quelques heures après les effusions de dimanche, plusieurs dizaines de femmes ont relaté sur des réseaux sociaux les agressions sexuelles dont elles disent avoir été victimes lors des grands rassemblements qui ont eu lieu à Paris et dans d'autres villes de la France.

« Il y a un mec alcoolisé qui vient de me foutre la main au cul tout en essayant de m'embrasser de force. Je le repousse, il me prend par le cou en me disant : ‟C'est la victoire, qu'est-ce que tu attends ?" », a raconté une femme.

« Je remercie le mec qui va sûrement pourrir mes pensées pendant un moment, qui en a profité pour tripoter mon sexe et mes fesses pendant que j'étais à moitié inconsciente sur les Champs-Élysées. Je suis mal, très mal », a relaté une autre.

À Lyon, une jeune femme a raconté ceci : « J'ai essayé de sortir de la foule parce que je n'en pouvais plus, je tenais à peine sur mes jambes en essayant de m'extirper de là et je me suis pris des mains au cul tout le long. J'avais envie de pleurer d'énervement. »

Ces femmes ont eu envie de célébrer la victoire des Bleus. Elles ont voulu le faire comme tous les autres. Comme les hommes. Mais certains d'entre eux ont vu en ces supportrices une occasion d'exprimer l'insondable énergie qui peut parfois surgir après une victoire collective.

On a gagné ! On a gagné ! On a gagné ! Je me sens tout-puissant ! J'ai le droit de faire ce que je veux. J'ai le droit de faire ce que je ne fais pas en temps normal ! J'ai le droit de te mettre la main au cul !

Voilà comment deviennent certaines personnes lors de ces moments euphorisants. Il y a aussi la version : on a gagné ! J'ai envie de tout casser ! Nous connaissons bien cela chez nous.

Ce phénomène est bien étrange. Et en même temps, il est primaire et prévisible. Avec le temps, on s'est un peu habitué à ce comportement. Il est comme devenu une suite normale des choses. Un peuple est vainqueur, il vit la catharsis comme au temps des Grecs et profite de la force du nombre pour faire des gestes disgracieux et inacceptables.

Dimanche, pour certains hommes, le mouvement #metoo était loin. En fait, il n'existait pas. Allez, les gars, on va leur montrer à ces nanas que c'est nous qui décidons de tout ! Allez, on les embrasse, on leur rentre notre langue de force dans la bouche et on leur met la main dans l'entrejambe ! Ce scénario, c'est exactement ce qu'une femme a vécu dimanche soir en France.

Isolé, l'être humain a tendance à voir en l'autre un ennemi, une menace. Il se sent faible. Mais rassemblés et unis par un sentiment commun, les humains voient tout à coup les autres comme des amis. Ou mieux encore, comme des alliés. Ils se sentent surpuissants.

J'ajouterais à cela qu'ils peuvent également devenir abrutis. Très abrutis. Je ne sais pas comment se comportent en temps normal les gars qui ont fait ces gestes inadéquats, mais j'espère que lundi matin, lorsqu'ils ont retiré leur masque désinhibant, ils ont regretté d'avoir agi comme ils l'ont fait. J'espère que leur lendemain de veille a été difficile quand, entre deux aspirines, ils ont consulté leur compte Twitter.

Car à la différence de la victoire de la France à la Coupe du monde il y a 20 ans, les femmes agressées ont pu compter sur les réseaux sociaux pour dénoncer ces gestes ignobles. En ce sens, les agresseurs ont eu tort de croire que le mouvement #metoo avait pris une pause dimanche soir et qu'il buvait une Kronenbourg comme tout le monde.

Hier après-midi, la police parisienne a interpellé deux personnes, dont un mineur, relativement à ces agressions sexuelles. Pour le reste, cela demeure pour le moment des allégations publiées sur les réseaux sociaux. Bien entendu, les auteures de ces témoignages sont la cible de commentaires disgracieux et peu encourageants, se faisant dire qu'elles n'ont qu'à « éviter les bains de foule » si elles ne supportent pas « les dérives qui vont avec ».

Aux agressions relatées par certaines femmes, on a également rapporté des voitures incendiées et des commerces pillés. Il y a aussi eu un truc franchement surprenant. Lors des manifestations, des hommes se sont complètement dévêtus et se sont exhibés devant la foule. On a gagné ! Allez, les mecs, on se fout à poil et on montre notre pénis !

Certains de ces hommes nus ont alors grimpé dans des lampadaires ou sur des véhicules. Évidemment, une image nous vient en tête... Évidemment, on ne peut s'empêcher de se dire que l'homme descend du singe et qu'il ne faut qu'un ballon pour le lui rappeler.