L'essor du phénomène de radicalisation des jeunes par des groupes terroristes, comme l'État islamique (EI), me ramène sans cesse à la question suivante : comment parvient-on à entrer dans la tête d'un adolescent et prendre le contrôle de sa raison jusqu'à faire de lui un être soumis, entièrement voué au mal ?

Encore mercredi dernier, sous la plume de ma collègue Gabrielle Duchaine, La Presse publiait l'histoire bouleversante d'une Montréalaise qui, depuis trois ans, attend le retour de sa fille de 22 ans partie vivre en Syrie. Que fait la jeune fille là-bas ? La mère n'en est pas certaine, mais tout porte à croire qu'elle est partie servir l'EI. Cette mère éplorée, qui croit que sa fille est peut-être morte, déclarait qu'on devait juger les endoctrineurs, pas les enfants. Cette femme a entièrement raison.

Alors qu'un froid polaire nous a forcés durant les Fêtes à nous enfouir sous 22 couvertures pour y lire des bouquins ou regarder des films, j'ai fait la lecture de l'ouvrage sans doute le plus éclairant sur le sujet. Dans « Bye-bye maman ! », le journaliste et ancien collègue de La Presse Fabrice de Pierrebourg cerne et explique avec brio (grâce à sa grande expérience de terrain) cette réalité encore nouvelle pour nous.

Ce récit captivant, qui se lit comme un roman, nous fait découvrir Ali (il s'agit d'un prénom inventé), un jeune de 16 ans d'origine maghrébine venu s'installer à Montréal avec ses parents alors qu'il était enfant. Ali est un bon garçon et un élève sérieux, obtenant des notes supérieures à la moyenne. Encouragés par ces résultats, ses parents, moyennant des sacrifices, l'inscrivent dans une école privée.

Comme plusieurs adolescents de son âge, Ali passe beaucoup de temps dans sa chambre, devant l'ordinateur. Ses parents ne s'en formalisent pas trop. Mais un jour, le père d'Ali, qui s'y connaît en informatique, fouille dans l'historique de navigation de son fils pour y découvrir avec horreur qu'il fréquente des sites consacrés au terrorisme et à des traditions prophétiques complètement fausses et négatives. Le garçon est aussi en contact avec des « guides » chargés de faire de lui un futur bon soldat de l'État islamique.

Après une sérieuse discussion avec son fils, le père croit que cette affaire est réglée et que sa progéniture reviendra à la raison. Mais la visite d'agents du SCRS quelques mois après cet événement sonnera de nouveau l'alarme. À partir de là, les parents d'Ali vivront un véritable cauchemar qui les conduira à poser des gestes déchirants, mais nécessaires. Je m'arrête là, ne voulant pas dévoiler les autres rebondissements de cette histoire empruntée à une réalité proche de la nôtre, mais qui semble être tout droit sortie de la fiction.

DES ADOLESCENTS ORDINAIRES

Grâce à l'histoire d'Ali, mais aussi de certains autres jeunes interceptés à l'aéroport de Montréal avant de s'envoler pour la Syrie ou d'autres lieux où sont formés les terroristes, Fabrice de Pierrebourg fait la démonstration que ces adolescents qui sont pris pour cibles ne sont pas tous des « petits cons psychopathes, frustrés sexuellement, asociaux, drogués, en situation d'échec scolaire et déjà criminalisés ». Ces jeunes sont des adolescents ordinaires. Complètement ordinaires.

Et que font les adolescents ordinaires ? Tôt ou tard, ils passent par une étape où ils se cherchent une personnalité, un créneau, une manière de se différencier des autres. 

Nous sommes ainsi faits, nous, les humains : on n'a pas envie d'être comme les sept autres milliards d'humains avec lesquels on partage la planète. Méchant contrat pour un jeune de 12 ou 13 ans. On a tendance à l'oublier...

Il arrive que cette quête de personnalité, d'appartenance à un style, à un groupe ou à une nation passe par un attachement à la culture et la réalité qu'on a laissées derrière soi, malgré nous. Ces jeunes n'ont pas toujours choisi de quitter leur pays, ce fut la plupart du temps la décision de leurs parents. Alors, bien naïvement, ils se mettent à croire qu'une vie ailleurs sera meilleure pour eux, que leur rôle est d'aller contribuer au mieux-être de ce qu'ils ont laissé derrière eux.

C'est en tout cas ce qui se passe avec Ali. La route du djihad sur laquelle il s'apprêtait à s'aventurer lui permettait de croire qu'il allait jouer un rôle important, qu'il allait enfin servir à quelque chose. Son père a eu beau lui dire qu'il n'obtiendrait jamais le paradis éternel grâce aux gestes qu'on lui demandait de poser, Ali demeurait persuadé qu'il avait raison de s'engager sur cette voie. Les propagandistes ont repéré cette faille chez une certaine catégorie de jeunes. C'est pour cela qu'ils recrutent beaucoup à l'étranger, chez les « déracinés ».

LE DRAME DES PARENTS

Le phénomène de la radicalisation est quelque chose de relativement nouveau pour nous. Il renferme encore beaucoup de secrets et de mystère. Mais si vous devez lire un seul livre pour comprendre cette réalité, c'est bien celui de Fabrice de Pierrebourg. Le journaliste aurait pu se contenter de s'attarder uniquement sur le fonctionnement de ce stratagème maudit, mais sa sensibilité fait qu'il s'intéresse également au terrible drame que vivent les parents.

Imaginez, vous êtes les parents d'un adolescent que vous croyez bien connaître, et un jour, vous découvrez qu'il regarde des vidéos destinées à faire de lui un monstre. Un peu comme ces programmes miracles qui ont la prétention de changer votre carrière en vous permettant d'apprendre l'anglais en 30 jours, ceux qu'on propose aux lionceaux du califat (c'est ainsi qu'on appelle les jeunes ciblés par l'État islamique) promettent de faire d'eux des terroristes sanguinaires en deux temps, trois mouvements.

« Apprenez comment devenir une bombe vivante en 30 jours ! » C'est un peu la promesse sordide qu'on fait à ces jeunes ! C'est l'incroyable proposition à laquelle réfléchissent au moment où vous lisez ces lignes des milliers d'adolescents dans le monde. Cela procure des frissons. Et cela donne envie de s'enfouir sous 22 couvertures pour le reste de l'hiver.

« Bye-bye maman ! » - Carnet d'ados radicalisés

Fabrice de Pierrebourg

Les Éditions La Presse

197 pages