Dan Bigras a compris qu'un bon récit commence la plupart du temps par une scène percutante. Le chanteur et comédien amorce donc Le temps des seigneurs, l'autobiographie qu'il livre ces jours-ci au public québécois, par un épisode coup de poing sur son enfance.

Un matin, sa mère lui demande de faire des courses avant d'aller à l'école. Surtout, il ne doit pas perdre les sacs de provisions et rapporter la monnaie. Il arrive ce qui ne devait pas arriver. Durant la journée, le petit Daniel se fait tout voler. Le soir, il aura droit aux foudres de sa mère, mais surtout à celles de son père, qui le frappe, une fois de plus, avec une violence inouïe.

Dès les premiers paragraphes, on découvre un garçon élevé par des «psychanalystes fuckés». D'un côté comme de l'autre, le petit Daniel n'arrive pas à trouver l'affection et l'attention auxquelles un enfant est en droit de s'attendre de la part de ses parents. Sa mère est une «poupée russe», machiavélique et hypocrite, et son père est un «écorché vif», violent et sadique.

Les deux parents sont tellement convaincus de sa mauvaise foi que Daniel se voit obligé de mentir et de leur dire ce qu'ils veulent entendre afin d'éviter davantage de coups. Son enfance est un cauchemar dont il n'arrive pas à se sortir.

«Sur le trottoir en face de chez nous, je regarde la maison en pensant que des gens paient pour voir des maisons terrifiantes dans des films d'horreur, alors que moi, je vis cette terreur à chaque fois que je reviens à ce que je suis bien obligé d'appeler chez moi», écrit-il.

Depuis qu'il est devenu un personnage public et qu'il promène son grand corps dans les médias, j'ai souvent pensé que Dan Bigras était une bombe dégoupillée. Longtemps, je l'ai senti sur le bord d'exploser. 

Dans certaines entrevues, il avait laissé entendre qu'il ne l'avait pas eu facile. Avec ce livre, le voile est levé.

Ce récit nous offre la vérité, nous donne la clé pour découvrir qui est vraiment Dan Bigras. «Les enfants qui ne se sentent pas ou mal aimés vont souvent réagir de deux manières à ce manque dans leur coeur. Les premiers vont devenir des saints. [...] Les autres vont faire l'inverse, ils vont devenir des bandits. [...] En ce qui me concerne, je n'ai pas pris de chance, j'ai fait un peu des deux.»

Parti vivre dans les rues de Québec à l'âge de 16 ans, Dan Bigras est de ceux qui se font tout seuls, qui construisent leur vie et leurs valeurs à coups d'expériences dures, mais fécondes.

C'est dans des bars de Québec qu'il fait ses premiers pas comme pianiste. On le paie (pas toujours) avec des hot-dogs et de la bière. Il rencontre une faune bigarrée et apprend à aimer et à comprendre les marginaux. Il faut lire le passage sur Jonathan, un travesti de six pieds sept pouces qui chantait du Piaf et que Bigras a adoré, pour saisir l'ouverture d'esprit qui habite ce chanteur.

Puis, c'est la tournée des bars miteux et des clubs de striptease. Il raconte qu'un soir, alors qu'il partageait la scène d'un de ces lieux à La Sarre avec Jim Corcoran, les deux artistes s'aperçoivent en quittant le bar que la marquise affichait : «Bienvenue au Vic, danseuses nues. En vedette ce soir : Jim Corcoran et Dan Bigras».

Alors qu'il connaît enfin le succès avec Tue-moi, Dan Bigras vit un terrible drame. Son frère Guillaume est retrouvé mort dans un fossé. Le grand frère Dan a voulu enquêter pour savoir ce qui s'était passé. Il a découvert que son jeune frère évoluait dans le milieu de la prostitution et qu'il s'était mis à dos des gens louches. Durant cette période, Dan Bigras portait sur lui un révolver.

Car cette époque est aussi celle des excès pour Dan Bigras. L'alcool, la drogue et les filles défilent dans ses veines et dans son lit. Il vit à 200 à l'heure. 

Celui qui est porte-parole du Refuge depuis plus de 25 ans reçoit un soir un certain signal alors qu'il est arrêté en état d'ébriété au volant de sa voiture.

Des amis, des vrais, ne tarderont pas à lui venir en aide et à le seconder dans une désintoxication qu'il réussira. C'est alors le début d'une nouvelle vie, d'une nouvelle philosophie. C'est la rencontre avec le bonheur. L'arrivée de son fils ne fera qu'amplifier cet état enivrant.

On comprend en lisant ce livre pourquoi Dan Bigras représente et défend la cause des jeunes de la rue. Je ne vois aucun autre artiste au Québec pour faire cela. Il sait comment parler à ces jeunes, il sait comment nous parler d'eux. Il a été ce qu'ils sont.

La réconciliation avec ses parents lui a procuré la paix intérieure. Il a su découvrir dans ces parents totalement imparfaits une explication à leur attitude. Grâce au pardon, Dan Bigras a terminé la fabrication de sa personne et est devenu un sage.

Vous aimerez ce livre pour diverses raisons. La première étant qu'il procure de l'espoir. Et l'espoir, c'est ce que nous souhaitons tous avoir au fond de nous.

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Le temps des seigneurs 

Dan Bigras

Québec Amérique, 280 pages

IMAGE FOURNIE PAR QUÉBEC AMÉRIQUE 

Le Temps des seigneurs, de Dan Bigras