Qui était cette Anita Pallenberg dont la mort, annoncée hier, a récolté autant d'airs dubitatifs du «grand public» que d'articles élogieux de la part des médias? Celle qui, à 73 ans, a soufflé une chandelle brûlée par les deux bouts fut une «it girl» avant l'heure, une groupie calculatrice, une héroïnomane notoire, mais aussi une égérie mythique des sixties, un génie du bon goût et la muse de quelques rockeurs célèbres.

D'origine allemande mais née à Rome, Anita Pallenberg fut l'une des plus belles femmes du XXsiècle. Un peu comédienne, un peu mannequin, un peu styliste, elle a vécu toute sa vie en périphérie du monde de l'apparence tout en le symbolisant. La beauté sauvage et troublante qu'elle avait reçue en cadeau dès le berceau ne fut pas sa seule arme. Polyglotte, issue d'une famille d'artistes cultivés, elle était dotée d'une grande intelligence.

C'est de tout cela qu'elle se sert en 1965 pour s'infiltrer dans les coulisses d'un théâtre après un spectacle des Rolling Stones. Brian Jones, fondateur du groupe, la remarque tout de suite. Il en fait rapidement sa petite amie. Leur relation se construit sur la passion, la violence et le plaisir des drogues. D'abord les douces, puis les dures.

Brian Jones est alors réputé pour être violent avec les femmes. Mais avec Anita Pallenberg, ce jeu de pouvoir échoue. C'est lui qui émerge de la chambre le matin avec des bleus et des ecchymoses sur le corps. D'abord excitante pour la jeune femme, qui a alors 26 ans, cette relation s'estompe sous le regard attentif de Keith Richards, l'un des guitaristes du groupe. Ce dernier attend l'occasion d'avouer enfin son amour à la belle Anita.

Dans son autobiographie intitulée Life, Keith Richards raconte comment Anita et lui ont pris la fuite en pleine nuit, laissant Jones seul avec ses démons et son ego surdimensionné. Cela a eu lieu lors d'un voyage au Maroc réunissant Jones, Richards, Pallenberg et quelques amis. Keith Richards révèle qu'au moment où le grand photographe Cecil Beaton était en train de le prendre en photo au bord de la piscine de l'hôtel où logeait le petit groupe, il était en train d'échafauder son plan d'évasion.

Keith Richards et Anita Pallenberg deviennent à partir de là un couple mythique. Cette histoire d'amour, qui a duré une douzaine d'années, transporte littéralement la star du rock au septième ciel. «Putain de garce sexy, écrit-il dans Life. C'était l'une des plus belles femmes au monde.» Plus loin, il dit d'elle qu'elle était «une femme forte» et «brillante», avant d'ajouter qu'elle était aussi capable de «manoeuvrer, de manipuler et de tirer les ficelles».

Le couple, qui a eu trois enfants, surmonte plusieurs épreuves. Tara, le deuxième fils, meurt subitement d'une maladie infantile dans son lit alors qu'il n'a que deux mois. Anita et Keith vivront ce drame chacun à leur façon. Mais pour tous les deux, cette blessure ne guérira jamais.

Libre et volage, Anita aura une aventure avec Mick Jagger lors du tournage du film culte Performance, en 1970. Dans Life, Keith Richards prétend ne pas en avoir voulu à Jagger et précise qu'il n'est pas de nature jalouse. Mais dans une entrevue publiée en 2010 dans Paris Match, il confie que la peine liée à cette infidélité lui a inspiré Let It Bleed et Gimme Shelter.

C'est aussi durant cette période où les sensations fortes se consomment à grandes cuillères que le couple devient accro à l'héroïne, une drogue qu'Anita connaît déjà. Cette descente aux enfers conduit le couple vers un terrible drame. En 1979, un jeune homme de 17 ans, du nom de Scott Cantrell, éperdument amoureux d'Anita, se suicide par balle dans le lit de Richards et Pallenberg. Cet évènement tragique sonne le glas du couple.

Lorsque, en 1980, Keith Richards décide courageusement de se débarrasser de cette dépendance, il prend également la décision de quitter Anita qui, à cette époque, n'arrive pas à dire adieu à cette drogue maudite. Elle réussira heureusement des années plus tard.

Mais qu'avait cette fameuse Anita Pallenberg pour susciter un tel enivrement, pour mettre les hommes, célèbres ou pas, à ses pieds, pour attiser le feu sur son passage? 

Anita avait ses entrées au Factory d'Andy Warhol, au Velvet Underground, au Swinging London et au Public Theatre, en Italie. Elle entrait à la boîte Chez Régine sans payer. Elle était à tu et à toi avec Godard, Fellini, Pasolini et Visconti. Marianne Faithfull, qui fut longtemps la petite amie de Jagger, était sa meilleure amie.

Cette femme possédait un magnétisme et savait s'en servir. Alors que d'autres tentent d'utiliser leur aimant sans succès, Anita n'avait qu'à l'orienter vers un objet de désir et il venait à elle. Ce don, puisque c'en est un, est rare. Elle le possédait et savait l'exploiter.

On se méfie des belles filles (et des beaux garçons) qui s'approprient une part de célébrité en rôdant autour des célébrités. Ces vautours s'octroient trop facilement le titre de muse. Dans le cas d'Anita Pallenberg, on peut affirmer qu'elle a eu une influence évidente sur les Stones. 

On lui doit le style et la facture de plusieurs des chansons du disque Beggar's Banquet. Les sites web des grands journaux ne parlaient-ils pas hier d'Anita Pallenberg comme de la sixième des Rolling Stones?

La pièce sur laquelle j'aime le plus danser est Sympathy for the Devil. Dorénavant, quand je bougerai sur les bongos et la guitare électrique de cette chanson indémodable, je penserai à Anita Pallenberg qui assure la partie vocale avec d'autres choristes.

Je penserai à cette femme bien de son temps qui a voulu sympathiser avec Satan alors qu'elle était elle-même, un peu, le diable.