Si François Mitterrand avait vécu son histoire d'amour avec Anne dans les années 2000, croyez-vous qu'il lui aurait envoyé autant de lettres ? Rien n'est moins sûr.
L'imposante correspondance que l'ancien président français a entretenue avec son amante et que Gallimard vient de publier est peut-être l'un des derniers grands exemples du genre épistolaire émanant du XXe siècle. Que nous réserve le XXIe siècle, alors qu'il symbolise l'ère du courriel et du texto ? L'avenir nous le dira, mais nous sommes en droit de nous demander ce qu'il adviendra de ce genre qui sied tellement bien au romantisme.
Dans Lettres à Anne 1962-1995, on découvre la véritable passion que Mitterrand a eue pour Anne Pingeot. Dans les 1218 lettres qu'il a fait parvenir à celle qui avait 27 ans de moins que lui lorsqu'il fit sa rencontre en 1962, il est souvent question de livres, d'auteurs et de littérature. Dans une lettre datée du 10 octobre 1963, Mitterrand écrit sa peine de voir mourir Jean Cocteau (étrange, car le poète est décédé le 11 octobre), un homme qui a beaucoup compté dans sa jeunesse.
Au fil des lettres, on assiste à la naissance d'une grande histoire d'amour, à la montée d'une passion réelle.
Dans ces missives, où l'on prend le temps de dire les choses, Mitterrand parle de la manière dont sont occupées ses journées, donne des rendez-vous à sa maîtresse et dit à quel point elle lui manque. Dans une lettre, il lui avoue qu'il voudrait lui écrire tous les jours.
Fait intéressant, 1981, l'année de son élection comme président de la République française, est ponctuée de seulement sept lettres, toutes composées d'une ou deux phrases chacune.
Marié à Danielle Gouze à partir de 1944 et avec laquelle il a eu deux fils, Mitterrand a connu le grand amour avec Anne Pingeot. Celle-ci lui donnera une fille, Mazarine, née en 1974. Cette naissance marquera « le plus beau jour » de la vie de Mitterrand.
Comment se fait-il que ces lettres soient aujourd'hui publiées ? L'Institut François-Mitterrand avait demandé il y a quelques années à Anne Pingeot si elle possédait quelques lettres de l'ancien président socialiste en vue de la célébration, en 2016, du centenaire de sa naissance. Anne Pingeot a alors rassemblé et retranscrit les lettres qu'elle avait en sa possession. « Il [François Mitterrand] savait que je conservais tout, par métier, et par nature, mais voulait-il que cela soit publié ? Depuis toujours, je me pose la question », a confié Anne Pingeot au micro de France Culture.
Ce recueil de lettres mises à la disposition de Gallimard par Anne Pingeot paraît en même temps que Journal pour Anne 1964-1970. Ce livre-album rassemble les fragments du journal de François Mitterrand qui concernent Anne Pingeot. Mitterrand aimait agrémenter ses textes de coupures de journaux et de photographies qui venaient illustrer ses propos. On a donc pris soin de reproduire les pages originales de son journal. Frissons garantis.
On retrouve également des poèmes qu'il dédie à sa douce. Comme celui-ci qu'il intitule Pourquoi il faut aimer Anne :
Je le sais aujourd'hui
Plus que jamais
J'ai reçu sa lettre
Anxieusement attendue.
Anne est ma joie
Ma grâce
Mon espérance.
Parfois je m'étonne de la place
Qu'elle occupe dans ma vie.
Surprise de l'âme
Qui doute du bonheur !
Anne est semblable
À cette vague
Violente et pure.
Elle donne
Et prend
Mais elle sait qu'elle donne
Et ne sait pas qu'elle prend.
Quand elle se brise
Elle n'est pas écume
Mais lumière.
N'est-ce pas assez pour vous plonger dans ce livre qui n'a qu'un seul parfum, celui de l'amour ?
Lettres à Anne
François Mitterrand
Gallimard, 1276 pages
Journal pour Anne
François Mitterrand
Gallimard, 496 pages
Lettres éparpillées
Lire des lettres dans un cadre littéraire c'est aussi s'adonner aux plaisirs du voyeurisme. Après le succès d'Au bonheur des lettres, Shaun Usher remet cela avec le second tome de ce concept qui consiste à présenter diverses lettres choisies pour l'originalité de leur contenu, leur valeur historique ou leur caractère loufoque.
Ainsi, parmi les 122 lettres qui composent cet album, on retrouve une lettre très touchante de Janis Joplin à sa famille, écrite en avril 1967. La chanteuse commence à connaître la gloire et raconte à sa mère et à son père ce qui lui est arrivé. Elle se dit très excitée que Paul McCartney, des Beatles (précise-t-elle à ses parents), soit venu la voir avec son groupe.
Il y a aussi une lettre de David Bowie qui, à 20 ans, répond à sa première admiratrice américaine. Celui qu'on a souvent dépeint comme froid et égocentrique y apparaît comme un homme d'une extrême gentillesse. Et celle de Mozart à sa cousine Marianne dans laquelle, provocateur et coquin, il écrit que son « cul [lui] brûle comme du feu ».
L'une des lettres les plus fascinantes est rédigée par Tennessee Williams qui, le 29 octobre 1950, écrit à la Motion Pictures Association of America afin d'empêcher que les gens chargés d'appliquer le code Hays (censure) fassent sauter la scène du viol dans Un tramway nommé Désir que l'on s'apprête à adapter au cinéma. Williams explique l'importance et le rôle de cette scène dans sa pièce. Il écrit avec beaucoup d'éclat : « Je sais distinguer le goût de la vulgarité. »
Ce livre fort instructif et divertissant est enrichi de fac-similés et de photographies. Un merveilleux cadeau de Noël pour les érudits voyeurs.
Au bonheur des lettres II
Rassemblées par Shaun Usher
Éditions du sous-sol, 368 pages
Lettres imaginées
Dans 22 lettres imaginaires d'écrivains bien réels, María Negroni rend hommage aux auteurs qui ont bercé son enfance : Mark Twain, Jack London, Charlotte Brontë, Lewis Carroll, Jules Verne, Charles Dickens et plusieurs autres.
Elle a imaginé pour eux des lettres qu'ils auraient pu faire parvenir à quelqu'un de réel ou pas. Voilà un exercice très original pour une auteure et que Negroni accomplit avec beaucoup de talent.
22 lettres imaginaires d'écrivains bien réels
María Negroni
Notabilia, 120 pages