Mes récentes vacances m'ont permis de découvrir la série télévisée Au service de la France. Ça ne vous dit rien ? Normal, la série est offerte de manière confidentielle sur Netflix depuis quelques semaines sous le titre A Very Secret Service (la série est toutefois présentée dans sa version originale).

Si vous avez quelques fins de soirée devant vous et que vous avez envie d'un bon divertissement, je vous invite fortement à regarder les 12 épisodes de cette comédie d'espionnage qui nous plonge au coeur des services de renseignements de la France durant les années de Gaulle. Mais attention, je vous préviens, vous grincerez des dents.

Diffusée l'automne dernier en France sur Arte, cette série arrive dans un bien mauvais moment. Alors que l'Hexagone est durement éprouvé par des attentats à répétition, qu'il vit une importante crise sociale et identitaire, cette série faite d'une « ironie historique jouissive » (selon les médias français) propose une autocritique cinglante.

À travers les yeux d'un jeune stagiaire désireux de faire carrière dans les services secrets, on voit défiler sous nos yeux les travers d'une France chauvine et toute-puissante : corruption des patrons et des fonctionnaires, inefficacité des travailleurs (tout est prétexte à organiser un pot à 17 h), misogynie généralisée, racisme exprimé au grand jour, lourdeur de la bureaucratie et, surtout, suprématie du tampon.

Ce dernier est le symbole du pouvoir. Le patron en a une dizaine sur un tourniquet. Tout le monde cherche ou attend un tampon sur son document. Sans tampon, tu ne peux rien faire. Sans tampon, tu n'es rien.

Le personnage central se nomme André Merlaux. C'est un jeune homme pur mené par l'envie de faire les choses autrement, de manière plus droite. Ce personnage symbolise en quelque sorte la jeune génération actuelle, celle qui en a marre de voir son pays ankylosé de la sorte.

Car même si l'action se déroule en 1960, les auteurs de la série ont composé des intrigues (le défi de la décolonisation, la réconciliation franco-allemande, les événements d'Algérie, la guerre froide, etc.) qui ont pour but de nous faire réfléchir sur la réalité que connaît aujourd'hui la France et les pots cassés pour lesquels elle paie encore.

Chaque épisode présente des comportements racistes, islamophobes et antisémites terribles. Certaines répliques font mal. Très mal. Et plus on avance dans cette série, dotée de plusieurs qualités, plus on se demande comment elle a bien pu voir le jour.

Un journaliste de Telé Obs a demandé à l'auteur, Jean-François Halin (ex-auteur des Guignols et scénariste des deux comédies OSS 117), si on pouvait rire de tout. Voici sa réponse : « Non seulement on peut, mais on doit. Même si rien ne dit que les autres vont trouver ça drôle. Après, on ne devrait pas avoir le droit de faire rire si on ne parle de rien. »

J'ai relu sa dernière phrase et j'ai tout de suite pensé à Mike Ward, pour qui on organise ce soir un spectacle-bénéfice afin de l'aider à payer ses frais d'avocat dans la cause qui l'oppose à Jérémy Gabriel. Voilà la différence entre les rires grinçants qui « disent quelque chose » et ceux que suscite Mike Ward. Dire d'un garçon atteint du syndrome de Treacher Collins et né sourd qu'il est « lette esti » et regretter qu'il « ne meure pas tabarnak » ne dit strictement rien, n'apporte absolument rien. C'est un gag tapon, rien de plus.

Au service de la France a été diffusé dans une France meurtrie entre l'attentat de Charlie Hebdo et celui de Nice. Il n'y a eu aucun débat sur le caractère critique de la série. Personne n'est descendu dans la rue pour dire que ce « French bashing » était scandaleux, inapproprié, exagéré.

Le défi est là, à mon avis, avec l'humour corrosif. Lorsqu'il s'appuie sur quelque chose, il passe. Lorsqu'il fait avancer les choses, il passe. Lorsqu'il joue son rôle de véritable critique de la société, il passe. Lorsqu'il est tapon et sans substance, il ne passe pas. Pas avec moi.

Et dire que ce gag vide nous guide vers l'un des plus grands débats jamais connus chez nous sur la liberté d'expression. Un peu déprimant, vous ne trouvez pas ?

Ce soir, ils seront plusieurs humoristes à réclamer le droit de ridiculiser, d'humilier ou d'ostraciser quelqu'un sous le couvert de l'humour. C'est leur droit.

Et tant que spectateur, on peut en retour exiger de la substance. C'est notre pouvoir.