Vous allez trouver que j'ai un côté morbide et que je fais preuve d'un voyeurisme déplacé, mais je me demande parfois comment s'est déroulée la mort de gens célèbres. David Bowie, par exemple. Je voudrais savoir où était-il quand il est mort? Qui était avec lui? Mais surtout, qu'a-t-il dit avant de pousser son dernier soupir?

On parle toujours des premiers mots qu'un enfant prononce. Papa, maman, pipi, caca, prout... À ce sujet, vous savez quel est le truc qu'une maman a trouvé pour faire passer à son enfant la période des gros mots? Sur un site web, elle propose sa technique révolutionnaire: «La minute des gros mots». Pendant une minute, elle et son enfant se balancent au visage tous les gros mots qu'ils connaissent. Après, ils vont jouer dans le parc. Ben coudonc...

Je reviens à mon sujet. On s'intéresse aux premiers mots, mais jamais aux derniers. L'auteur et chroniqueur de radio Thomas Snégaroff a eu la bonne idée de raconter les derniers instants d'une trentaine de personnages célèbres et de dévoiler les derniers mots qu'ils ont prononcés avant de trépasser. Dans Le fin mot de l'histoire, on apprend entre autres que ce n'est pas parce que tu as été un grand poète ou un célèbre intellectuel que tu dis des choses importantes et sensées.

Mais à d'autres moments, on a l'impression que, sachant que leurs ultimes paroles allaient prendre un certain sens, ces personnes choisissent minutieusement leurs derniers mots. Ne se sentant pas bien, Pablo Picasso fit venir son notaire, maître Antebi. Les dernières paroles du mythique peintre allaient être pour lui. Picasso demande à l'homme s'il est marié. Il ne l'est pas. «Vous devrez vous marier. C'est utile», lui dit Picasso. Devinait-il la guerre qu'allaient se livrer les enfants de ses nombreuses femmes pour mettre la main sur une part de l'héritage?

Quand on sait qu'on va mourir, on peut trouver quelque chose de grandiose à dire. En revanche, la mort inattendue peut nuire sérieusement à notre image. On devra alors apprendre à composer avec la banalité.

Le 26 juin 1959, Boris Vian assiste à une projection privée du film J'irai cracher sur vos tombes inspiré de son roman. De mauvais poil, Vian sursaute quand il aperçoit les premiers acteurs à l'écran. «Ils n'ont vraiment pas l'air d'Américains», lâche-t-il à son voisin avant de mourir, terrassé par une crise cardiaque.

La mort de John F. Kennedy fut sans doute la plus célèbre du XXe siècle. Tout le monde a en tête la Lincoln Continental noire longeant Dealey Plaza à Dallas, le 22 novembre 1963. Assis à l'arrière de la décapotable, John F. Kennedy et Jackie. Devant, le sénateur du Texas John Conelly et sa femme Nelly. Avant que la voiture ne tourne sur Houston Street, Nelly Conelly se retourne et dit au président: «Vous ne pouvez pas dire que Dallas ne vous accueille pas chaleureusement aujourd'hui?» «Ah oui, c'est évident», répond JFK en saluant la foule. Quelques secondes plus tard, des balles sifflent et font éclater la tête du président.

La palme des paroles les plus communes revient sans doute à Jean Jaurès, le politicien français devenu célèbre pour son pacifisme. Il fait très chaud en ce 31 juillet 1914. Jaurès et d'autres hommes mangent dans un restaurant parisien. Il est 21 h 40. Jaurès hèle un serveur: «Une tarte aux fraises», réclame-t-il. Raoul Villain, un homme caché derrière un rideau, tire alors sur le héros avant qu'il n'ait le temps de manger son dessert.

En revanche, il y a de jolies choses toutes simples qui sont dites, des choses quasi prémonitoires. Le 4 avril 1968, Martin Luther King se trouve à Memphis, dans la chambre 306 du Lorraine Motel. Laveille, il a prononcé un discours qui a enflammé la foule. Il doit en donner un autre le soir même. Il retravaille son texte dans la chambre. Il sort prendre l'air sur le balcon et entend le doux son d'un saxophone. C'est le musicien Ben Branch qui joue quelques notes au pied de la chambre. Martin se penche et lui dit: «Eh Ben, n'oublie pas de jouer ce soir Precious Lord Take My Hand et joue-le vraiment bien.» Au même moment, on tire une balle. Elle vient se loger dans la gorge du combattant des droits civiques.

En conclusion, il ne serait pas mauvais que vous prévoyiez une phrase sentie au cas où. On ne sait jamais. Cela peut être un extrait de Baudelaire, de Balzac ou de Marie Laberge. Dites-vous que ces paroles seront retenues et passeront à la postérité. Et dans le cas d'une mort soudaine, sachez que vous n'êtes à l'abri de rien. Un lustre est si vite tombé au moment de commander une tarte aux fraises.

JEU-QUESTIONNAIRE

Qui a dit: «Pour celui qui viendra»?

A) Gilbert Bécaud

B) Jean Cocteau

C) Adolf Hitler

D) Elvis Presley

La bonne réponse est C. Dans son bunker devant son majordome, Hitler prépare sa mort. Le Führer lui conseille de tenter une percée vers l'Ouest. «Mais pour qui maintenant devrons-nous percer?», demande le majordome. «Pour celui qui viendra», répond Hitler avant de gagner ses appartements en compagnie d'Eva Braun et de se donner la mort.

Qui a dit:«Adieu mes amis. Je pars vers l'amour»?

A) Édith Piaf

B) Isadora Duncan

C) François Truffaut

D) Elizabeth Taylor

La bonne réponse est B. C'est la phrase que lance la célèbre danseuse avant de partir en balade avec un jeune amant. Quelques instants après, elle mourra étranglée par son long foulard qui s'enroule dans une roue de la Bugatti que conduit l'objet de son désir.

Qui a dit: «Oh oui, mon cher Robert...»?

A) Marcel Proust

B) Maria Callas

C) Dalida

D) Antonin Artaud

La bonne réponse est A. Sur son lit de mort, Marcel Proust reçoit la visite de son frère Robert. Celui-ci est médecin. Il pose des ventouses au mourant. «Je te fatigue mon cher petit Marcel...» Et l'auteur d'À la recherche du temps perdu de répondre: «Oh oui, mon cher Robert...» Il fermera les yeux quelques secondes après.

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Le fin mot de l'histoire. Thomas Snégaroff. Éditions Tallandier.

Image fournie par les Éditions Tallandier

Le fin mot de l’histoire, de Thomas Snégaroff