J'ai rencontré l'ex-députée libérale de La Pinière Fatima Houda-Pepin pour la première fois il y a 25 ans environ. Elle n'était pas encore élue ni ouvertement engagée en politique. Elle présidait un organisme appelé le Centre maghrébin de recherche et d'information, dont le rôle était, notamment, d'interpeller la société sur la discrimination, les préjugés et le manque de diversité. Elle était, dans mes souvenirs de reporter, une des porte-parole de la communauté musulmane québécoise, celle qui dénonçait les injustices contre les minorités culturelles et religieuses comme la sienne, alertant l'opinion publique contre les stéréotypes, demandant de l'ouverture et de la représentativité dans les institutions.

Québécoise musulmane enracinée ici, à la fois observatrice et active depuis toujours, Mme Houda-Pepin est un personnage avec un profil rare dans notre société.

Que le Parti libéral l'ait ni plus ni moins mise en retraite forcée de la politique par son expulsion du caucus l'an dernier et par le blocage ensuite de son élection comme indépendante dans son ancienne circonscription de La Pinière avec le choix d'un candidat canon comme Gaétan Barrette, à ce moment de l'histoire, en a étonné beaucoup, vu toute cette expérience. Mais Mme Houda-Pepin, un an après son départ de l'équipe des députés libéraux, refuse catégoriquement de revenir sur toutes ces questions politiques et partisanes.

Si elle accepte de me rencontrer autour d'un café à l'hôtel Delta, c'est pour parler de son plan de lutte contre l'intégrisme et pour la tolérance au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, et de la commotion générale au sujet de l'islamisme radical.

Née au Maroc dans une famille musulmane, immigrée au Québec il y a trop longtemps pour qu'elle ait envie d'en dire plus, Mme Houda-Pepin a en effet pensé à une stratégie pour à la fois lutter contre les extrémismes qui mènent à une remise en question de la démocratie et de la modernité, voire à la violence comme on l'a vu à Paris, et encourager la diversité, l'ouverture, l'intégration.

Elle en a fait un projet de loi mort au feuilleton, déposé alors qu'elle était encore députée indépendante et dont le contenu demeure d'actualité puisqu'un élément, au moins, a été repris par le Parti québécois la semaine dernière.

D'abord, elle explique pourquoi il faut lutter contre l'extrémisme pour favoriser la tolérance. «Les musulmans, explique-t-elle, sont les premières victimes de l'intégrisme.» Ils souffrent des conséquences. Lutter contre l'islam radical, c'est aider tout le monde.

En premier lieu, il faut permettre à toutes les religions de cohabiter au Québec, et pour cela, «il faut d'abord définir ce qu'est la neutralité religieuse de l'État», dit-elle. La liberté religieuse, selon Houda-Pepin, se vit en terrain neutre.

Elle n'aime pas le mot «laïque», qu'elle estime trop lié à la réalité française. «C'est un mot catholique», note l'ancienne députée. Dans ces institutions neutres, les personnes en position d'autorité contraignante ne doivent pas afficher leur religion.

Le foulard? «Le foulard dit islamique, j'insiste sur le "dit", c'est devenu un symbole islamiste seulement après la révolution iranienne», explique-t-elle. Enfant, au Maroc, elle a grandi dans un univers où les voiles des grands-mères côtoyaient les minijupes des plus jeunes, et la cohabitation ne dérangeait personne. L'imposition politique du voile est arrivée relativement récemment. L'importance intouchable qu'on lui accorde la dérange. Je lui demande ce qu'elle répond à ceux qui disent que le port du foulard est une question de choix. «Ce sont des signes d'oppression de la femme, répond-elle. Les médias ont intériorisé le discours islamiste... S'il avait fallu qu'on tienne ce discours ici, les Québécoises n'auraient jamais eu le droit de vote.»

Au Québec, des femmes étaient contre ce droit de vote. Elles faisaient même signer des pétitions.

Mais définir la neutralité de l'État, mettre des balises aux accommodements raisonnables, ce n'est qu'un premier pas. Il faut aussi chercher à comprendre comment les éléments radicaux se sont installés ici, comment ils oeuvrent dans les communautés.

Actuellement, on en sait trop peu, note Mme Houda-Pepin. Et le flou sur quelle mosquée est radicale, qui est modéré, qui est associé, de près ou de loin, avec des organismes liés au terrorisme et qui n'a strictement rien à voir avec tout cela encourage les préjugés, le doute. Surtout que dans les médias, on ne parle de l'islam que dans des contextes de crise, de confrontation, voire de guerre, d'assassinat, d'exécution.

Terrible pour les Québécois musulmans.

Il faut donc, croit-elle, aller chercher de l'information pour clarifier la situation, et pour cela, elle propose la mise sur pied d'un «observatoire» de l'intégrisme ici, une idée reprise par le Parti québécois, tel qu'annoncé la semaine dernière.

L'autre étape, enfin, explique-t-elle, est la lutte contre les sources de la radicalisation, soit l'exclusion et la pauvreté.

Ici au Québec, on n'est pas dans la même situation qu'en France, où l'immigration s'est bâtie autour d'un modèle lié au travail. On a fait venir des travailleurs sans jamais définir de plan pour les intégrer à la société. Ici, il y a des politiques d'accueil efficaces, note Mme Houda-Pepin.

Sur le plan international, en plus d'actions concertées pour l'échange de renseignements, l'ex-députée voit aussi la nécessité d'un «plan Marshall» pour les pays de la francophonie du Sud.

La radicalisation, note-t-elle, se fait dans des pays sans démocratie, où la majorité silencieuse, qui n'aspire qu'à la paix et au développement, n'a pas de voix. «Or, comme on l'a vu en Irak, on ne peut pas imposer la démocratie», note-t-elle. Il faut qu'elle arrive par la base. Donc, il faut aider les pays en voie de développement à aller chercher la prospérité et le niveau d'organisation et d'éducation qui permettront la mise en place de régimes politiques ouverts. Imaginez, poursuit-elle, si on prenait tout l'argent qu'on doit maintenant investir en sécurité et qu'on s'en servait plutôt pour aider les sociétés civiles. «Les murailles pour empêcher les immigrants illégaux, les boat people... Quand est-ce qu'on va arrêter ça?

«Il faut s'attaquer aux racines, aux inégalités sociales et économiques. Parce que c'est essentiel. Et parce que c'est urgent.»