Elle est arrivée un peu en retard à notre rendez-vous au Leméac, avenue Laurier, et s'en est excusée profusément avant de m'expliquer qu'elle avait eu un petit malentendu avec sa femme de ménage, au sujet d'une télécommande pour le téléviseur. Un truc banal. Peu importe. Quand c'est raconté par Dominique Michel et qu'elle commence à imiter tous les personnages mis en cause, impossible de ne pas rigoler.

En fait, j'ai ri durant tout le repas.

À un certain moment, j'ai eu droit à une microreprise d'un numéro de cartomancie tiré de Moi et l'autre, comédie des années 60 avant-gardiste pour son époque, qui l'a propulsée aux premiers rangs de l'histoire de l'humour québécois.

À un autre moment, elle joue les bonnes soeurs de l'école Sainte-Anne où la comédienne a fait ses études, poussée par des parents sans grands moyens mais qui ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour l'éducation de leur fille unique. Elle est même hilarante quand elle imite une mère phoque en train de pêcher et de trimer pour nourrir mâle et bébés, tel que vu pendant un voyage en Alaska. «Ouais, elles aussi...»

Et imaginez: tout cela alors qu'on était ensemble autour d'un tartare de saumon et d'une omelette pour parler de cancer, une des maladies les moins drôles du monde.

Dominique Michel est maintenant à la retraite. «Je n'ai aucun projet», dit-elle sans ambages. «Aucun.» Finie la comédie.

Sauf qu'elle a choisi de donner un peu de temps à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, pour la campagne de financement de son projet de nouveau centre intégré de cancérologie. L'hôpital veut en effet regrouper ses services, histoire de soigner en un seul lieu les hordes de victimes de cette maladie qui frappe de plus en plus large. «Avant, on disait une personne sur cinq, ensuite une sur trois, maintenant une sur deux», dit Dodo. «Tout le monde me dit qu'ils n'ont pas envie de savoir ça, mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, c'est ça...»

À l'été 2013, la femme de 82 ans s'est elle-même fait servir un diagnostic de cancer du côlon. Opérée quelques jours plus tard, elle a ensuite plongé dans le calvaire d'une costaude chimiothérapie. Actuellement, elle se remet de tout cela. Les traitements sont terminés. Elle a de nouveau l'air en forme. «Tu sais, quand on te dit que c'est comme un 18-roues de 44 tonnes qui te passe sur le corps, et ensuite qui recule, c'est vrai!»

Son regard bleu perçant, quand elle fait des blagues, est celui d'une gamine de 12 ans qui s'apprête à faire un mauvais coup.

***

«Je ne sais pas si c'est parce que je suis petite, mais je suis toujours prête à me battre», raconte cette femme minuscule, qui est déjà sortie de sa voiture pour remettre à sa place un autre chauffeur mal luné. «Je n'ai peur de rien.»

Et elle a des opinions sur tout.

Notre rencontre a eu lieu lundi dernier, avant les événements qui ont tristement marqué la semaine. Dominique Michel m'explique sa théorie sur la défaite du Parti québécois au printemps dernier: «L'hiver de m... qu'on a eu! Tout le monde était à boutte, pris dans les cônes orange. Dans ce temps-là, t'es juste fâché quand vient le temps de voter. Un débordement de négativité.»

La Charte? «Give me a break, c'était vraiment pas le temps.»

Dominique Michel était sur le plateau de Tout le monde en parle quand Justin Trudeau y est passé. «C'est un garçon que j'aime, dit-elle. Sa femme aussi.»

Elle raconte ensuite qu'elle a connu son père Pierre Elliott, qu'ils étaient voisins au centre-ville à une certaine époque et qu'ils allaient manger ensemble à l'occasion, rue de la Montagne. «Je ne suis jamais sortie avec lui, d'ailleurs chacun payait sa part, mais nous étions amis. Un homme très fin.»

Écouter Dominique Michel raconter sa vie est comme écouter l'histoire du Québec des dernières décennies. Elle se souvient d'avoir entendu Raymond Lévesque chanter Quand les hommes vivront d'amour à Paris pour la première fois, et bouleverser les artistes français présents. Elle parle de Moi et l'autre, évidemment, des Bye Bye, de ses débuts dans les cabarets avec Denise Filiatrault, avant la télévision. Elle se rappelle combien, quand elle était en France, elle s'ennuyait de l'odeur du sapin. Elle se remémore un voyage en Alaska à la pêche au saumon où les ours lui volaient ses prises, ainsi que ses premières campagnes de financement pour l'hôpital Sainte-Justine et la création de Leucan, avec Serge Savard, qui jouait alors avec le Canadien.

«On a vécu beaucoup de moments difficiles ensemble», raconte-t-elle. Des images de mains d'enfants potelées percées par un cathéter lui reviennent à l'esprit, de bambins en train de mourir de la maladie, à une époque où elle était encore trop souvent indomptable.

Après une dizaine d'années, elle n'en pouvait plus. Mais sa propre maladie l'a replongée dans cet univers et convaincue qu'il fallait reprendre ce flambeau pour permettre à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont de construire son centre intégré de cancérologie. La Fondation veut aller chercher 15 millions pour lancer le projet. Dodo encourage tout le monde à participer. «Donnez 5$, 10$, tout peut faire une différence!»

Elle ne lâchera pas tant que la tâche ne sera pas terminée. «Je veux voir la première pierre du centre, dit-elle. Et quand on va faire la première pelletée, je vais vraiment être heureuse.»

Biographie

> 82 ans

> Probablement la comédienne la plus drôle du Québec.

> Découverte par les Québécois dans les années 60 grâce à la série télévisée Moi et l'autre, écrite par Gilles Richer.

> A été l'âme des Bye Bye de Radio-Canada pendant des années.

> A aidé et conseillé plusieurs jeunes humoristes, dont Cathy Gauthier.

> N'a jamais eu d'enfant. Un amoureux? «À mon âge, c'est ben de l'ouvrage!»

> Adore la cafétéria de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. «Je te le dis que c'est vraiment bon!»

> Déteste les chicanes, adore voyager.

> A un conseil pour ceux qui trouvent que l'attente est trop longue à l'hôpital: «Apportez-vous un livre!»

> Pour rire, il faut regarder des DVD d'Ellen DeGeneres, à l'époque où elle montait sur scène, avant sa carrière télé, quand elle était «un peu persona non grata parce qu'elle est lesbienne».

> Pour rire encore, il faut regarder Modern Family, comédie télévisée américaine. «Ça, j'aime beaucoup ça.» Elle adore aussi l'humoriste américaine Tina Fey. «Mon Dieu qu'elle était bonne en Sarah Palin.»

> L'ensemble de l'oeuvre de Denys Arcand. «J'aime beaucoup son écriture. Je me considère privilégiée d'avoir eu la chance de jouer dans ses films.»