Je ne sais pas si Adam Price, le scénariste de la série de télé danoise Borgen, s'est intéressé aux élections québécoises, mais il devrait.

Un attentat, c'est tout ce qui manque à cette fiction politique télévisée mettant en vedette une femme chef de parti. Une leader qui atteint finalement le poste de première ministre dans un Parlement où elle est contrainte, système électoral proportionnel et multiplicité de partis obligent, à bâtir de complexes alliances pour gouverner.

Diffusée à partir de ce soir, tous les jeudis à 21 h sur ARTV, l'émission Borgen est mise en marché ici avec le slogan «quand la fiction dépasse la réalité». Mais la vérité, c'est qu'au Québec, il est difficile d'être plus imaginatif que la réalité, en ce moment.

Un homme en robe de chambre qui hurle des insanités linguistiques provocatrices en tuant un employé de la salle où la première ministre à peine élue est en train de prononcer son discours officiel de chef de gouvernement, quel scénariste, même le plus allumé, aurait osé y penser?

Trop énorme. Trop tiré par les cheveux.

À un tel point que j'ai parfois eu l'impression, ces derniers jours, qu'on a tous été un peu sonnés par l'énormité de l'événement qui prend tout son sens quand on le résume pour des amis ou des collègues étrangers: «Première femme premier ministre de l'histoire du Québec. Souverainiste. Attentat à sa vie. Un mort. L'accusé lançait des cris de guerre linguistique.»

Sonnés au point aussi d'oublier de souligner suffisamment, à très gros traits, le fait que le Québec a enfin, finalement, une femme à sa tête. Ou essayons-nous d'être discrets sur la question pour ne pas trop, justement, que ça paraisse, pour donner l'impression que le fait que la première ministre soit une femme ne changera pas grand-chose, finalement?

J'ai dévoré les premiers épisodes de la série Borgen, un mot qui signifie «château» en danois et qui est le surnom donné au bureau du premier ministre à Copenhague, comme on dit «le bunker», à Québec, en parlant du bureau réservé aux premiers ministres sur la Grande Allée. J'ai dévoré les épisodes, car jamais on n'a l'impression, justement, que les scénaristes danois exagèrent. Leur monde politique vu par une femme a l'air dur et cruel, mais la description semble parfaitement dosée. Mélange de luttes de pouvoir, de relations complexes et souvent tordues entre politiciens et journalistes, de questionnements douloureux des politiques au sujet de la frontière entre leurs vies privées et publiques, cet univers pimenté par les doutes et les tiraillements de l'héroïne sonne toujours très juste.

À tel point qu'on se dit que faute d'aveux candides de nos politiciennes, la série nous offre un regard sûrement aussi lucide, sinon plus que bien des reportages sur la politique au féminin vue de l'intérieur.

Car on y met le doigt sur de vrais bobos, notamment celui du respect, ou plutôt de la difficulté à l'obtenir sans équivoque. On ne le dit pas souvent en mots aussi clairs, mais un des grands défis des femmes en politique, c'est d'être aussi respectées que les hommes le sont. Avec la même loyauté, le même égard solennel.

L'héroïne de Borgen, Brigitte Nyborg, a souvent de la difficulté à l'obtenir.

En parler est difficile, douloureux, gênant.

Or, la nature de certaines insultes lancées à l'Assemblée nationale contre des femmes - «vache», «chienne» - nous montre bien qu'il y a du mépris.

Rappelez-vous aussi ces chic candidats péquistes - oui, péquistes - qui ont parlé ces derniers mois de leurs doutes au sujet de l'éligibilité de leur chef. Pas pour dire qu'eux étaient contre le fait d'avoir une femme leader. Bien sûr que non. Mais en faisant porter le blâme de l'ambivalence au reste de la population.

Le premier défi d'une politicienne est d'être prise 100% au sérieux, même par les siens et d'effacer toute ambiguïté sur la légitimité de sa présence à ce poste.

Mme Marois ne parlera probablement pas des difficultés, peut-être semblables à celles de Brigitte Nyborg, qu'elle rencontrera durant les prochains mois pour établir son autorité absolue. Autant face à ses collègues et à ses adversaires qu'à la haute fonction publique. Mais ne me dites pas qu'il n'y aura pas de dinosaures sur son chemin. Je suis désolée, mais non, ils ne sont pas tous disparus. Le tyrannosaure survit...

Comment se faire respecter sans s'imposer de façon unilatérale et insensible, comment ne pas marcher sur sa morale pour protéger ses arrières, comme être à la fois féministe et au pouvoir... Mme Marois devrait regarder Borgen pour voir comment s'en sort sa collègue fictive. Nous aussi. Car la réalité des coulisses, celle des coups bas, de la petite misogynie lâche, de toutes ces humiliations subtiles, mais réelles, que les machos réservent même aux battantes, on ne la racontera probablement jamais. Peut-être pour l'oublier, la nier. Peut-être, tout simplement, pour travailler plutôt à avancer.