Lorsque mon collègue Jean-Thomas Léveillé a demandé au directeur général de la Ville de Drummondville pourquoi il n'était pas friand des potagers déployés devant plutôt que derrière les maisons dans les secteurs résidentiels, Claude Proulx lui a expliqué que c'était parce que cela créait un problème de «cohésion de la trame urbaine».

Et personne ne veut de problème de cohésion urbaine à Drummondville, n'est-ce pas?

«Il pourrait y avoir du blé d'Inde devant une maison, a poursuivi le directeur, des radis devant l'autre, des patates ailleurs.»

J'ai ri toute seule devant mon écran d'ordinateur quand j'ai entendu ces commentaires, pendant que défilait le reportage diffusé sur LaPresse.ca.

J'ai dit tout haut: «On aura tout vu, Drummondville qui s'inquiète de sa cohésion urbaine.»

Et puis j'ai eu une pensée pour les délicieux poètes du groupe Les Trois Accords, originaires de cette cité, qui n'auraient probablement pas mieux dit. «Il pourrait y avoir des blés d'Inde devant une maison, des radis devant l'autre...»

J'ai envie de rire de Drummondville, vous comprendrez, mais je ne le ferai pas plus parce que le magazine Croc s'en est généreusement chargé dans les années 70 et 80. Plus besoin de taper sur ce clou. Et puis Drummondville qui ne veut pas qu'on installe un potager en façade, comme l'ont fait Michel Beauchamp et Josée Landry, par souci d'urbanisme, oui d'urbanisme, ne s'est-elle pas suffisamment ridiculisée elle-même?

La vraie question, maintenant, est comment aider cette municipalité à revenir au gros bon sens, à une réflexion urbaine moderne, sans perdre la face?

La mairie a commencé à faire preuve de sagesse, lundi, en acceptant d'imposer un moratoire sur le dossier, ce qui laisse les jardiniers tranquilles pour un moment. Et c'est une bonne décision, non seulement parce que la Ville ne peut continuer à s'enfoncer dans sa mauvaise décision, mais aussi parce que ceux qui ont peut-être empiété sur quelques pouces de terrain municipal pour faire pousser leurs aubergines, en plus d'avoir osé ne pas faire comme tout le monde, n'ont pas l'intention de fléchir. Ils ont maintenant l'appui du député péquiste. Ils ont fait un bed in intitulé «Give peas a chance».

La vraie question, donc, c'est comment aider la Ville à faire demi-tour, doucement, discrètement. On ne veut pas polariser le débat plus qu'il ne l'est au sujet de l'à-propos de pouvoir cultiver un potager devant sa maison. On veut au contraire l'amener tranquillement sur le chemin du compromis, du consensus, vers un espace où plus personne n'a peur des radis. Ni même des pommes de terre...

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Je comprends, grosso modo, l'argument de la Ville. En gros, on ne veut pas prendre le risque de voir apparaître devant des maisons des tas de verdures incohérentes, plus ou moins ponctuées d'épouvantails et de tuteurs. On craint le désordre enraciné. On préfère la pelouse coupée à la fardoche désordonnée. C'est plus net.

Le problème, c'est qu'en 2012, une telle attitude entre en collision directe avec plusieurs nouvelles réalités urbaines et environnementales.

Une de ces nouvelles réalités, c'est qu'il faut rafraîchir nos zones urbaines avec plus de verdures. Une autre, c'est qu'il faut rendre nos sols poreux le plus possible, pour récolter les eaux de pluie. Il y a aussi le besoin de diminuer nos déplacements et de manger des aliments qui ne voyagent pas trop, histoire de limiter notamment la pollution et la dépense d'énergie liée de transport, une constatation qui milite en faveur des potagers de proximité.

Une autre réalité, c'est qu'il faut manger frais plutôt que manger des produits transformés industriellement, parce que c'est meilleur pour notre santé et, encore, l'environnement...

Une autre réalité, c'est qu'il faut bouger, parce que dans nos vies, on est trop sédentaires, trop scotchés à nos écrans...

Tout ça, tout ça mis ensemble, eh bien, ça milite en faveur des potagers urbains - et des poulaillers urbains et des cordes à linge, autres défis municipaux - bien plus qu'en faveur des pelouses, vertes et fraîches certes, mais néanmoins grandes consommatrices d'eau, d'engrais, parfois d'herbicides, et souvent d'énergie quand vient le temps de les couper.

C'est pourquoi bien des villes en Amérique du Nord et la communauté écolo encouragent les résidants à transformer leurs pelouses en jardins d'herbes, en plantation de verdures rustiques, autochtones, qui ne nécessitent pratiquement pas d'entretien, un peu comme ce que l'on voit sur le High Line à New York ou sur les toits verts des grandes villes.

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Dans le fond, ce qu'il faudrait, à Drummondville et ailleurs dans ces villes qui craignent une transition désorganisée, c'est un règlement qui encadre l'installation des potagers, qui ne les limite pas aux cours arrière ou aux côtés, mais qui stipule qu'on ne peut pas laisser les choses aller de façon incontrôlée.

Car ce qui choque avec l'histoire des Beauchamp-Landry, c'est que leur potager est exemplaire. Beau, bien entretenu, luxuriant. S'il avait été tout croche, la Ville serait peut-être allée chercher plus de sympathie.

Car de quoi parle-t-on quand on mentionne les mots cohérence urbaine? On parle d'une certaine propreté, d'une certaine organisation. On ne parle pas de botanique, mais d'allure. Une pelouse qui refuse de pousser, jaunie, décharnée, n'est pas plus cohérente et enviable pour l'harmonie suburbaine qu'une rangée de laitues ou un tapis de menthe verte en pleine santé, non?

Donc, arrêtons de penser et de parler de pelouse et choisissons les mots verdures en santé, bien rangées, où on inclura tout autant thym, roquette, chou-rave que ce qu'on appelle du gazon. Car n'est-ce pas juste ça, dans le fond, messieurs et mesdames les fonctionnaires municipaux, une jolie pelouse: du vert bien entretenu?