Il y a plusieurs mois, j'ai eu l'étrange idée d'écrire publiquement, sur Twitter, qu'à mon avis, une femme politique québécoise utilisait mal ce réseau social. Qu'elle n'en tirait pas bien parti. Le mot « platte » a même été utilisé.

Piquée, elle m'a rapidement répliqué et offert une description de son menu de la veille - de la quiche et un sauté de légumes.

Est-ce ainsi moins « platte » ? m'a-t-elle en substance demandé.

Je n'ai pas poursuivi l'échange. Mais je me suis souvent dit qu'un jour, j'y reviendrais. Parce que parler d'alimentation est, effectivement, tout sauf ennuyeux. Et parce que parler de ce que l'on mange, de ce dont on se nourrit, est d'une grande pertinence économique, sociale, culturelle et environnementale. Les politiques devraient effectivement nous parler alimentation beaucoup plus souvent.

Je ne sais pas ce que mange Jean Charest, mais j'aimerais savoir ce qu'il pense des antibiotiques que l'on donne aux poulets. Je ne sais pas quels sont les plats préférés de Pauline Marois, mais il serait adéquat de savoir si elle penche pour le bio ou préfère plutôt Costco. Et j'aimerais grandement qu'on m'en informe, si un jour Stephen Harper venait à mordre dans un morceau de thon rouge ou de bar du Chili, deux espèces fort mal en point, mais qu'on peut encore manger au Canada.

« On peut imaginer un scandale politique pour des raisons de détournement de fonds, d'adultère ou même de meurtre. Mais on voit mal un politicien faire les manchettes pour avoir mangé un hot chicken », constate Élise Desaulniers dans son livre Je mange avec ma tête, les conséquences de nos choix alimentaires, paru cette semaine. Pourtant, si un élu était pris en flagrant délit de dévorer un aliment éthiquement douteux - un ortolan ou du requin, par exemple, tous les deux menacés -, ne devrait-on pas en faire une nouvelle ? Conditions de vie des travailleurs, conséquences sur l'environnement, dérapages de l'industrialisation alimentaire... Nos assiettes sont-elles réellement uniquement privées ?

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Ceux qui suivent ces questions depuis toujours, qui ont lu toute l'oeuvre du journaliste américain Michael Pollan ou d'Éric Schlosser, auteur du best-seller Fast Food Nation, n'apprendront peut-être pas énormément de choses dans ce nouveau livre de Mme Desaulniers qui fera, je l'espère, bien discuter. Mais si vous commencez à vous intéresser au sujet et que vous cherchez une porte d'entrée, voilà un excellent point de départ à une quête d'information que tous ceux qui mangent devraient entreprendre.

Car il est temps de se réveiller. De s'informer. De se scandaliser. De demander mieux. Bref, de faire de l'alimentation un réel enjeu politique.

Au Québec, nous sommes souvent illettrés côté alimentaire. Demandez à n'importe quel serveur au restaurant, n'importe quel commis à l'épicerie d'où vient un poisson ou quelle est l'origine d'une viande et, encore maintenant, on a de la difficulté à obtenir des réponses sensées. Même dans les établissements qui se targuent de s'approvisionner directement à la ferme et de suivre les saisons, il est facile de se heurter à de la mauvaise information.

Cela permet des dérapages en tous sens. Non seulement on nous vend des produits éthiquement douteux - des animaux élevés dans des conditions scandaleuses, des légumes transportés du bout du monde à grand coup de CO2, etc. Mais en plus, on en profite pour nous rouler dans la farine. On nous vend, par exemple, des légumes industriels sous des dehors fermiers. Ou alors on nous laisse entendre que telle viande est naturelle alors qu'on joue sur les mots. (Le cas du « poulet de grain » est particulièrement frappant. Saviez-vous que cette appellation est essentiellement un outil de marketing, car tous les poulets sont nourris au grain ? Ce qui n'empêche pas les éleveurs de leur donner aussi des farines animales, celles-là mêmes qui sont montrées du doigt pour la transmission de la maladie de la vache folle ?)

Cette méconnaissance des enjeux est grandement explicable, à mon avis, par la peur d'en savoir trop. Et des importantes remises en question que tout cela signifie. Commencez une discussion sur les conditions d'élevage des poulets - très bien décrites dans le livre de Mme Desaulniers - et vous aurez souvent droit non pas à une contestation, mais à un changement de sujet.

Qui veut ajouter les questions d'éthique alimentaire, complexes, à toutes les autres préoccupations dont on nous martèle le crâne depuis des décennies ? Voilà qu'après les calories, le cholestérol, le sel et compagnie, il faut en effet maintenant chercher à savoir si ce gâteau est écologiquement correct et pas celui-là... Et tout ce poisson que l'on a finalement appris à apprécier, comme le disaient les nutritionnistes, voilà qu'il faut le remettre en question. Tout comme ces magnifiques crevettes importées, finalement bon marché.

Oui, le morceau est costaud à avaler.

Mais peut-on plaider l'ignorance ? De moins en moins. Et même nos politiques devraient commencer à en parler.