Doit-on s'étonner de voir des centres commerciaux géants de banlieue séduire les résidents des régions ?

Si les banlieusards eux-mêmes apprécient ces univers construits de toute pièce, axés essentiellement sur la consommation, où on ne s'est pas embarrassé de ces choses superflues, n'est-ce pas, que sont les musées, les parcs, les pistes cyclables, les vieux commerces patinés, l'Histoire et la diversité socio-économique, pourquoi eux, n'auraient-ils pas droit d'aimer...

Surtout si, en prime, on n'a pas besoin de savoir s'y garer en créneau ?

Il y a aux Etats-Unis des centaines de centres de ce type qui roulent très bien, remplis justement par les habitants des campagnes et petites villes environnantes. Le modèle est éprouvé. Quand un de ces lieux devient trop vieux, quelqu'un en ouvre un autre plus loin, laissant des boîtes vides derrière lui. Mais personne ne les voit puisque le modèle neuf est tout feu tout flamme. Et on avance, comme ça, dans la campagne. Un jour, les centres en question seront peut-être même à la porte de chez ceux qui viennent ainsi de loin les fréquenter.

Il y a différents modèles cependant. Il y a le modèle géant, dans lequel il faut pratiquement se déplacer en voiture d'une grande surface à une autre, il y a le style « village carton-pâte « où on propose souvent des fins de ligne à bas prix pendant que les consommateurs marchent dans de fausses rues aux airs faux-vieux. Il y a aussi les lieux commerciaux plus complexes, avec les mêmes marques que partout ailleurs, mais peut-être en plus un cinéma, des restaurants que les visiteurs trouvent formidables mais que vous me permettrez de ne pas louanger.

Et partout, il y a cette activité omniprésente: acheter.

Mais sait-on encore faire autre chose ?

Croyez-moi, il n'y a personne qui aimerait plus que moi que tous ces gens qui prennent leur voiture pour aller faire du shopping à 100 kilomètres de chez eux prennent plutôt le car pour venir en ville. Et pour ensuite sauter sur un Bixi en arrivant, histoire d'aller au musée ou de flâner dans les galeries du Mile-End en grignotant un bagel, spécialité montréalaise introuvable à Murdochville ou Drummondville.

Mais vous et moi, on fait quoi déjà de nos weekends ?

On cultive nos salades sur nos toits verts ou on magasine les nouvelles tondeuses à gazon ?

On va au MAC ou on reste scotchés devant notre Mac ?

Il y a mille raisons d'aimer ou de détester ces centres qui combinent la prévisibilité de la vie villageoise et l'abondance commerciale urbaine.

Il y a le fait que des terres agricoles de première qualité deviennent des parkings. Il y a la pauvreté architecturale de la plupart des constructions. Il y a cette façon de concevoir la vie centrée essentiellement autour la consommation de masse et des déplacements en voiture. Il y a le côté aseptisé de ces univers d'abord conçu sur papier où tout a le même âge et où tout tombera en lambeaux en même temps, car rien n'y est construit pour traverser les siècles.

Il y a aussi l'adhésion à un mode de vie qui apporte ses rushs agréables mais aussi ses déprimes sourdes dont on ne parle pas assez. Des auteurs anglophones ont baptisé ça l'« affluenza «, combinaison des termes anglais « affluence « qui signifie abondance ou richesse, et «influenza «, le nom scientifique de la grippe. On se rend « malade «, généralement de l'âme, à vouloir ce que l'on n'a pas, peu importe qu'on soit milliardaire ou salarié. Peu importe qu'on vienne de la banlieue d'à côté ou du village, pas mal plus loin.